dimanche 29 avril 2012

Prometheus Landscape II, Jan Fabre


SUBLIME CHAOS


Prometheus Landscape II est un spectacle déroutant. Entre beauté et horreur, Jan Fabre nous fait voyager à travers différents états émotionnels.


            Dès l'ouverture du rideau, le spectateur est plongé dans un univers sombre et désespéré.  La haine se ressent petit à petit montant progressivement lors d'un long texte retraçant tous les hommes que nous avons défini en héros, en vain. Après les insultes verbales et le crachat arrive le feu. Il naît du sexe féminin et finit par envahir la scène recouverte de sable. Les corps s’enflamment, s’énervent. Les danseurs s'expriment corporellement seuls ou à deux dans un élan d’amour destructeur. Le fond de la scène représente les astres, c'est alors que les mouvements sur scène et les décors se complètent. La lune est pleine, les danseurs s’agitent. Le soleil se montre, la chair brûle.
            Une danseuse exhibe bestialement son entrecuisse, pour marquer nos regards ou nous montrer que finalement nous sommes tous faits de sang et de chair. Un homme enroule sa verge avec un ruban noir et tire, il tire jusqu’à ce que la douleur soit ressentie par le public qui ne peut échapper à cette vision chaotique de membres en mouvement et en souffrance.
Dans cet animal qu’est l’homme, une âme est présente. Mais chez Jan Fabre, les âmes sont torturées, comme l’est Prométhée sur son rocher. Et pour éteindre la flamme de la souffrance et du désir, l'auteur refroidit aussi bien les acteurs que le public à grands coups d’extincteur. Ce spectacle nous fait ressentir autre chose que des émotions, Jan Fabre joue sur les odeurs et les sensations physiques. Le feu réchauffe et appelle à l'évasion de l'esprit mais la fumée blanche du CO2 nous fait redescendre sur terre, nous rappelle encore et toujours notre condition mortelle.
            Tout comme Prométhée, le public est attaché, il ne peut bouger car ce qu’il voit sur scène le fascine autant qu’il le blesse. Et pourtant au sein de ce désordre poétique, surgit la beauté. Celle de la danse qui nous élève, nous montre que bien qu’on soit fait de muscles et d’os, l’art lui, nous sublime. C’est bien ce que Jan Fabre est parvenu à faire. Au-delà de la violence de la naissance et de la mort, se trouvent l’amour et l’art.

Le passé de plasticien de Jan Fabre apporte à la scène de la matière, du volume. Les danseurs jouent avec du sable, qui représente à la fois une barrière contre le danger, le feu, mais aussi une façon de punir. Lors d’une scène, un homme jette du sable dans la bouche d’une femme par plaisir, l’empêchant ainsi de respirer. L’eau est aussi présente, tantôt sortant de la bouche d'une femme, tantôt sur la peau des danseurs en transe.
C’est par cette intervention du sublime au sein des désirs bestiaux et ce jeu de matières que le spectacle de Jan Fabre peut nous faire penser à Juillet mis en scène par Lucie Berelowitsch que l’on a pu voir l’année dernière à L’Idéal de Tourcoing. Le texte d’Ivan Viripaev nous présente un tueur rongé par le désir de chair fraîche. Cette performance, liant la danse au théâtre peut faire penser au travail de Jan Fabre avec les matières. Alors que dans Prometheus Landscape II le sable et le feu sont omniprésents sur scène, Lucie Berelowitsch enduit les peaux des deux danseurs d’une texture luisante, entre l’eau et l’huile.
Dans Prometheus Landscape II, les références mythologiques sont esthétisées et réinterprétées avec un esprit contemporain cinglant. Hermès n’a plus d’ailes à ses chaussures mais des haches aux pieds. Io n’est pas piquée par un taon mais entourée de personnes dont les cris sont comme des dards acérés. Prométhée lui, figure centrale de la pièce, reste enchaîné durant toute la représentation, créant ainsi chez le spectateur une sensation d’empathie, d’épuisement et de douleur.
            Ce spectacle est l’expression d’une ambivalence, d’un paradoxe. Celui de la connaissance. Le mythe de Prométhée expose la question du libre arbitre et de la souffrance au profit du savoir. Les hommes souffrent-ils de trop de connaissances? Serions-nous plus heureux ignorants? L'ignorance est-elle source de bonheur? Jan Fabre traite du savoir comme de quelque chose d’essentiel, même si c’est au détriment du confort physique. Pourtant, lorsqu’on voit le sacrifice qu’a fait Prométhée pour les hommes et qu’en dessous de lui ceux-ci s’agitent comme des sauvages, on se demande si les humains avaient les clés pour utiliser à bon escient ce savoir qu'est le feu.
            Au-delà de la référence mythologique, ce spectacle est actuel. Il introduit les questions de la censure et des conventions sociales imposées par une société puritaine. Sur scène, Jan Fabre déroge à la règle de bienséance pour exalter les corps et les désirs, sans cesse refoulés dans la réalité. Le spectacle de Jan Fabre pose question, il secoue nos a priori sur la nudité et la morale. Il choque tout autant qu’il apaise puisqu’il nous montre qu’au fond nous sommes des êtres similaires.

Léa Charrier

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