dimanche 22 avril 2018

Industrie, industries...

  
Industrie, industries...

Critique de l'exposition de David LaChapelle au Bam de Mons

  
Esmerald City – David LaChapelle – 2013


En ce mercredi 21 février 2018, nous nous rendons aux BAM (Beaux-Arts de Mons), en Belgique, pour visiter l'exposition de David LaChapelle, After the deluge, présentée du 28 octobre 2017 au 25 février 2018.
Après une grande déception en parcourant le rez de chaussée de l'exposition, mélange entre « hommage » au Pop Art et fresques à l'évocation mythique, le spectateur se sent démuni, sans clé de compréhension face à des œuvres déroutantes qui mériteraient plus éclaircissement.
Il faut le rappeler, David LaChapelle est un photographe issu du monde de la publicité et de l'apparence. Son travail se situe dans un floue entre l'attraction pour ses pairs : Andy Warhol ou encore Jeff Koons, et la critique de ce monde, bien qu'il puisse s'y inclure.
Hommes dont on peut questionner la finalité du travail et l'intention : Sont-ils des artistes qui profitent du système du marché de l'art dont ils ont saisit toutes les règles ? Où sont-ils de véritables créateurs dont la démarche artistique prime sur l'intérêt économique ? On en doute...

Cependant, la visite continue au premier étage où deux pièces attirent notre regard. Nous nous trouvons face à une photographie de taille assez conséquente d'environ 1m20 sur 1m. Notre regard est plongé dans une masse colorée, fumeuse, chaotique et mystérieuse : que sommes-nous en train de regarder ? Il nous faut quelques secondes pour prendre du recul et nous détacher des innombrables détails pour discerner la forme générale d'une usine. Nous sommes surpris de trouver cet objet représenté dans l'exposition. Il faut savoir qu'à partir de 2006, David LaChapelle prend congés des studios publicitaires pour s'exiler à Hawaï, mener une vie plus simple dans la nature. Il y développe plus tard un renouveau artistique avec la série Gas Station et la série Landscape, présentées face à nous.

Cette dernière série est une étude sur notre dépendance au pétrole et la consommation abusive dont nous en faisons l'utilisation. Le sujet évoqué provoque un double ressenti. D'un côté une attraction due aux couleurs acidulées (rose flushia, bleu flashy), à la profusion de lumières scintillantes et aux formes attrayantes ; et d'un autre côté une répulsion face à ces immenses machines, un sentiment d'être tout petit à côté de cette imposante structure massive. L'apparence très animée du lieu en pleine activité semble cacher une absence de l'Homme, comme si sa monstrueuse invention lui avait échappé et fonctionnait de manière autonome.

En se rapprochant de la photographie, on découvre une autre vision. Ces ballons, ces réservoirs, ces cheminées, et ces passerelles qui constituent l'usine sont en réalité des ampoules, des canettes, des rouleaux de cartons, des pailles et bien d'autres objets de notre quotidien. Des matériaux pauvres, simples, des objets recyclables, produits des énergies fossiles, recyclés en œuvre d'art. En parallèle des objets plus techniques, des centaines de LED, des canons à fumée, et autres éléments pyrotechniques, sont utilisés dans le but de créer des artifices, une véritable mise en scène.

Cette dernière nous trompe quant à la réalité de l'objet que l'on est en train de regarder. Si de prime abord, nous semblons être face à un site industriel d'une masse colossale qui s'impose dans le paysage naturel, reculé de toute civilisation, nous sommes en vérité confrontés à une maquette n'excédant pas 1m83 sur 2m44 posée dans le désert californien. Par un effet d'optique, l'horizon et la fausse usine fusionnent et ne font plus qu'un.

Par ailleurs, dans une vidéo également présentée à la fin de l'exposition, on peut voir grâce au contre-champ, tous les artifices utilisés par les techniciens de David LaChapelle, véritable équipe de tournage, qui créent l'illusion. C'est d'ailleurs en ce sens que l'on peut percevoir la maquette comme un authentique plateau de tournage.

Par son aspect très futuriste : couleurs fluorescentes, lumières vives, et formes esthétiques, la contemplation de ce spectacle nous distrait et nous éloigne de la gravité du sujet pour nous proposer une expérience insolite qui paraît inoffensive et innocente : l'usine devient un véritable parc d'attraction.
Si le parc industriel évoque un lieu de travail acharné, qui semble renfermer des secrets, le parc d'attraction évoque un lieu de divertissement, de plaisir immédiat et de séduction du visiteur. Cependant, ces deux mondes se rejoignent autour d'une notion commune : la production et la consommation de masse. Comme l'évoquait l'auteur Bruce Bégout dans son ouvrage sociologique : Zéropolis, la société actuelle est construite autour de deux grandes idées : le travail et le divertissement. Une vision très manichéenne qui se veut de justifier le travail pénible par la promesse illusoire d'un bonheur à travers le divertissement.

Dans ce flot de vie prie entre ces deux pôles, l'artiste se propose d'envisager la photographie comme un arrêt dans le temps, une réflexion sur notre mode de vie et sur ses conséquences dans le futur sur l'environnement.

C'est à travers sa seconde série Gas Station, prise dans la forêt tropicale Maui, que David LaChapelle se fait témoin du monde tel qu'il serait dans un future post-apocalyptique. À la manière des romans et films de ce même genre, il nous propose de réfléchir dés aujourd'hui à des manières d'intervenir sur les problématiques écologiques. Dans ces photographies, nous voyons des stations essences abandonnées, isolées dans une jungle dense. Cet effet de domination de la nature est renforcé par le fait que les stations essences ne sont que des maquettes de taille réduite, constituées de cartons et de plastiques posés au milieu de la forêt. C'est sur ce même sol que l'Homme a creusé pour faire des puits de pétrole. Si l'on dirait ici que la nature est un monstre qui s'attaque à nos constructions, les envahit, les encercle, et les étouffe, c'est en faite bel et bien l'Homme qui a construit en empiétant sur la nature et ses réserves, faisant intrusion.
La question est donc : Va t-on voir ces stations essences et ces usines disparaître au profit d'énergies plus vertes, ou seront-elles les premières à nous voir disparaître ? Comme se fut le cas à Tchernobyl ou à Fukushima


Malgré cette volonté remarquable de traiter d'un thème important qui nous concerne tous, nous restons sceptiques quant à la démarche artistique de David LaChapelle. Ce dernier agit tel un réalisateur qui décide et dicte les ordres et tâches à accomplir à ses subalternes. Si son idée est intéressante par le fait qu'elle soit ancrée dans des questions actuelles de société, ne surfe t-il pas sur un thème simplement à la mode ? Nous avons également des raisons de penser qu'il a repris son travail artistique suite à une commande passée par une galerie de Berlin et le montant faramineux de chacune de ses photographies (110 000$ pièce) ne laisse pas penser que sa démarche a pour vocation d'être désintéressée et altruiste. De plus, l'artiste laisse une très grande part d’interprétation au spectateur quant à la signification de ses œuvres. Est-ce un choix de liberté ou de facilité ? Néanmoins, on ne peut nier que ses œuvres questionnent le spectateur et l'amène à une réflexion.


Par Corentin Le Jeune et Maude Gallais