jeudi 13 janvier 2011

KARL LAGERFELD – KOOS BREUKEL



"La photographie fait partie de ma vie. Elle ferme le cercle de mes préoccupations artistiques et professionnelles. Je ne vois plus la vie sans sa vision. Je regarde le monde et la mode avec l'oeil de l'appareil", Karl Lagerfeld.



Cette citation, à l’entrée de l’exposition « Karl Lagerfeld » à la Maison Européenne de la Photographie, tient lieu d’annonce pour le spectateur; il s’apprête à pénétrer dans l’univers professionnel mais aussi personnel de l’artiste. Les attentes sont grandes : Karl Lagerfeld représente un personnage publique complexe et paradoxal, tant par son excentricité (et sa rigueur) vestimentaire que par son extrême pudeur sur sa vie privée (il ne dévoile jamais son âge, par exemple).
Dans la première salle, divisée en 3, nous assistons d’abord à un panel de photographies « d’architecture » et de paysages de Paris.
Des toits typiques par-ci, les jardins du Luxembourg par-là ; des lieux vus et revus, surexploités, photographiés ici avec le style quelque peu aseptisé de Lagerfeld. Quand Paris symbolise pour de nombreux artistes, « la ville du romantisme », Karl Lagerfeld est loin de tomber dans les clichés : il nous donne à voir des photographies ternes, dénuées d’émotion, teintées d’un regard plutôt froid et distant sur la capitale.
La suite est, certes, plus originale, mais pas transcendante : Au cours de ses déambulations dans « la grosse pomme », Karl Lagerfeld photographie sous tous les angles les façades New-Yorkaises. La question du discours de l’artiste est alors au centre de la réflexion du spectateur : ces échelles de secours incarnent, évidemment, une des caractéristiques des appartements New-Yorkais, mais la symbolique même de l’objet et le matraquage de ces formes géométriques évoquent l’instabilité et le déséquilibre. Karl Lagerfeld aurait-il donc laissé échapper sa fragilité ?
Le spectateur s’attend alors à une gradation dans l’émotion, à un regard artistique plus humain, mais la dernière partie de cette première salle est décevante : il s’agit d’une collection de sérigraphies, qui jouent sur les couleurs.

La deuxième partie de l’exposition concerne davantage la technique. Karl Lagerfeld s’atèle à des expériences novatrices autour du tirage. Le spectateur assiste à des résinotypes, des tirages argentiques sur papier abrasif mêlés à un hommage à Oscar Schlemmer (de nationalité Allemande, peintre, décorateur et scénographes de ballet).
Enfin, au fond de cette salle, s’étale la spécialité du directeur artistique de Chanel : les photographies de mode et personnages célèbres, en petit ou grand format. Ces centaines d’œuvres rendent enfin, comme une agréable note de clôture, hommage au vrai talent de Karl Lagerfeld.

« Monsieur Miroir » à la Fondation Ricard

Les amateurs d’art contemporain ont pu, du 21 septembre au 06 novembre, déambuler dans ce lieu singulier qu’est la Fondation Ricard, afin de profiter de l’exposition « Monsieur Miroir ».
Située au cœur même du 12e arrondissement de Paris, la Fondation a été conçue pour mettre en avant le travail et la personnalité de chacun des artistes présents à l’exposition (8 au total). Deux d’entre eux ont, cette année, étés récompensés par le « Prix Fondation Ricard » : Isabelle Cornaro et Benoit Maire. Figures montantes de l’art contemporain, ces deux artistes travaillent sur l’illusion du réel et leur objectif est de nous déstabiliser en se jouant de notre perception des espaces, de l’unité et de la temporalité. C’est dans cette volonté qu’Emilie Renard, la commissaire d’exposition, a crée « Monsieur Miroir », personnage énigmatique qui modèle la réalité et s’inscrit, ainsi, comme pôle unificateur de l’exposition. Fait assez singulier pour qu’on prenne la peine de le souligner, E.Renard a d’abord choisi le titre de l’exposition avant de rechercher les artistes qui y seraient présents. Chacun d’entre eux possède un univers personnel suffisamment riche et cohérent pour pouvoir, une fois mélangé à celui des autres, participer à la création d’une nouvelle réalité qui s’affirme par sa singularité.
Le seul reproche qu’il est, néanmoins, possible de formuler à l’égard de cette exposition est l’absence de textes indicatifs permettant de se renseigner sur la démarche de l’artiste, son histoire ou simplement le titre de son œuvre. Certes, cet inconvénient peut s’avérer être un avantage puisqu’il oblige le spectateur à ne pas considérer le 12 de la rue Boissy d’Anglas comme une banale salle d’exposition mais comme un lieu à part entière où l’on déambule à travers les œuvres comme on explorerait un monde nouveau, en se laissant imprégner par les sensations qui nous traversent successivement. L’art contemporain n’est, cependant, pas réputé pour sa facilité d’accès au grand public. Il est donc regrettable que toutes les informations nécessaires à la bonne compréhension des œuvres ne soient disponibles que dans le catalogue d’exposition. Il y a fort à craindre que cette absence notable d’information ne desserve le travail des artistes et ne restreigne le nombre de visiteurs qu’à un public d’initiés.
Je ne peux, néanmoins, que vous encourager à vous précipiter au Centre Pompidou où quelques œuvres des deux lauréats sont exposées dans la collection permanente du musée.

Murakami à Versailles

Après avoir accueilli l’artiste américain Jeff Koons en 2008 puis les créations du français Xavier Veilhon l’année suivante, le château de Versailles héberge désormais les œuvres de Takashi Murakami. L’univers de ce japonais peut sembler complètement décalé avec l’art classique que l’on trouve à Versailles. Mais si on reprend l’histoire de ce château, on remarque que cette démarche n’est pas si inappropriée.
Faut-il rappeler ce qui se passait à l’époque du roi Soleil, quand le grand jeu des habitants du château était de courtiser son voisin ? Et les grandes fêtes organisées par la Cour où l’on se déguisait, riait mangeait et dansait ? Ou même encore l’entourage du roi lui-même : Lully, Le Nôtre, Molière, de Lalande et tant d’autres… Le château de Versailles était un lieu où l’art avait une place cruciale. On faisait venir les plus grands artistes de l’époque pour créer de nouvelles œuvres. Alors pourquoi faire mourir ce château et le laisser inanimé ? On connaît le refrain des protestataires, et on peut le comprendre. En effet il y a peu de rapport entre les œuvres que nous propose Murakami et celles du château. Mais finalement ce n’est peut être pas nécessaire qu’il y ait un lien : le principal étant de pouvoir faire redécouvrir les principales pièces de Versailles à travers un regard neuf, jeune, contemporain, qui fait vivre le château avec son temps.
Moi-même je n’y serai pas retournée avant un bon bout de temps si cette exposition n’avait pas eu lieue. On entre dans le château et on redécouvre les pièces les plus belles : la chambre du roi, la galerie des glaces, le jardin… certaines œuvres sont plutôt discrètes, ce qui permet à ceux qui sont venus pour la visite de Versailles de profiter pleinement des œuvres classiques sans se retrouver nez à nez avec une œuvre de Murakami. D’autres sont plus imposantes. Prenons par exemple celle située dans la galerie des glaces. Elle attend le visiteur à la fin de son trajet, comme une explosion de joie, toutes les couleurs, les fleurs, les sourires de cette œuvre se répandent dans cette galerie et lui donne un air moins solennel. Murakami arrive à créer une atmosphère unique de jubilation ce qui nous fait presque revenir à l’époque de Louis XIV.
Finalement ce ne sont pas les œuvres en elles qui sont intéressantes, même si elles sont dans l’ensemble plutôt agréables à regarder, c’est surtout le circuit que nous propose l’exposition qui est important. En nous faisant traverser le château, l’exposition Murakami nous fait voir Versailles comme il existait à sa plus belle époque. Un château plein de joie, de couleurs, de fête, de création que l’on retrouve difficilement sans l’aide de ces artistes contemporains.

Nancy Spero


La protestation, la rage, le cris, c’est ce que l’on retient de l’exposition rétrospective de Nancy Spero au centre Pompidou.
Chaque salle est un étape de son art, qu’elle choisit d’exprimer en peignant sur du papier. On est d’abord choqué voire horrifié par la War Series. Elle clame l’obscénité de la guerre en l’associant très explicitement à la sexualité, par des corps en explosion aux phallus démultipliés, comme Male Bomb.
Puis on s’étonne des Artaud Paintings, dans lesquels elle écrit des phrases provocatrices de cet auteur. Elle donne alors à la lettre une dimension picturale : celle-ci n’est plus réduite au sens que porte le texte. Elle va dès lors utiliser le papier pour coller, tamponner, déchirer...
Enfin, la dernière salle la révèle comme femme-artiste. Son oeuvre majeure, Azur, étonne par sa grandeur, au point que le regard ne puisse embrasser sa totalité. Puis par la beauté de ses couleurs qui contraste avec le début de son art qui ne se voulait que choquant. Pour finalement bouleverser encore plus : cette beauté devient insupportable quand en s’approchant on découvre d'innombrables représentation féminines torturées. Beau, son art demeure féroce, violent et enragé.
Ses oeuvres touchent par les thèmes actuels et universels, mais surtout par la créativité illimitée de l’artiste : la technique est au service de sa rage. Nancy Spero a non seulement crée des oeuvres, mais elle a aussi crée les procédés qui sont à leur origine.

Jean-Michel BASQUIAT

L’exposition Basquiat que propose le Musée d’Art Moderne de Paris est riche. Elle retrace l’existence de cet homme particulier, influencé par le graffiti et devenu icône de l’art brute et en particulier de la mouvance « underground ». L’originalité de l’artiste fait de ses œuvres quelque chose de différent que l’on regarde avec plaisir.
Au premier abord, on pourrait se croire face à des dessins d’enfants. Cependant les couleurs utilisées, les techniques novatrices, la souffrance, l’angoisse et la violence qui ressortent de ces peintures submergent le spectateur. On se retrouve plongé dans l’univers étrange de cet artiste hors norme.
Si Jean-Michel Basquiat était un être torturé, cela se ressent dans ses toiles et dessins. Son engagement politique contre la ségrégation se retrouve dans plusieurs salles. Philosophiquement il revendique le fait de peindre de façon spontanée, de dire les choses comme elles lui viennent. Sa dépendance à l’héroïne influence son travail. Il réalise des toiles qui reflètent un monde parallèle, hors de portée du spectateur. Certains thèmes abordés par l’artiste comme la mort, le respect du vivant, les origines sont universels. Les questions qu’il soulève sont à la portée de tous et concernent tout le monde aussi bien à son époque qu’aujourd’hui.
Cependant, la manière dont Basquiat expose sa vision de la société est très abstraite. Si bien qu’il est difficile pour le spectateur d’interpréter les différentes œuvres du musée.
La rétrospective permet de comprendre qui était Jean-Michel Basquiat et ce qu’a été sa vie. Un nombre importants de crânes sont représentés et ce qui peut être assimilé à des pates de corbeaux sur ses dernières toiles objectivent une obsession de la mort chez l’artiste et un certain fatalisme.
Cependant le visiteur ne trouve pas toujours de réponses aux questions qu’il se pose: certaines représentations ne trouvent d’explications qu’aux yeux de l’artiste et ne sont pas à la portée du grand public. Le spectateur se retrouve parfois contraint de regarder une œuvre en se limitant à son aspect esthétique, sans la comprendre, et les écriteaux mis en place ne la rendent pas plus accessible.

Exposition « Anonymes : l’Amérique sans nom » au BAL

Anonymes ? Personne n’est anonyme. La volonté d’anonymat est un phénomène sociétal, le résultat de deux tendances montantes de la première moitié du XIXème siècle, au sein de la société nord-américaine : la montée de l’individualisme associée à l’envie de certains artistes de retourner aux choses authentiques, qui s’attachent ainsi à montrer le quotidien de la population, la vie banale de « Monsieur Tout-le-Monde ».
Grâce à son exposition actuelle, le BAL fait le lien entre la volonté de la société américaine et celle de ses artistes. À travers les clichés d’individus anonymes, les photographes de l’agence Magnum documentent la vie d’une certaine époque, à un certain endroit. Le titre de l’exposition prend alors tout son sens : « Anonymes : L’Amérique sans nom », ou le portrait d’un pays, d’une société à travers la vie de sa population. Mais il apparaît peu à peu que derrière cette volonté documentaire objective, les photographes dénoncent en réalité les dérives de la société dans laquelle vivent ces individus : la dureté du travail en usine, les dérives et excès de la société de consommation, certains problèmes sociaux...etc.
Mais cette dénonciation n’est pas assumée par tous. En effet, on remarque que la majorité des clichés exposés sont pris en noir et blanc, laissant croire à une réelle objectivité de la part des photographes. À l’inverse, les clichés pris en couleurs revendiquent clairement le fait de n’être que des images du réel, une réalité filtrée : photographies tirées des archives d’un commissariat de police, réutilisation de clichés provenant de Google Maps, participation de figurants dans les scènes photographiées...

D’un point de vue personnel, cette exposition m’a paru très pertinente, inscrite dans un contexte (le BAL, le Bal ’ lab et le Laboratoire des images), et poursuivant un objectif précis : faire en sorte que le visiteur « s’auto-éduque » à la lecture des images, en apprenant à prendre le recul suffisant pour les interpréter correctement et en se détachant du regard du photographe, et exerçant son esprit critique sur ce regard photographique qui ne peut jamais être tout à fait objectif. On regrette cependant le manque d’explications, qui parfois laisse des questions sans réponses en ce qui concerne la réelle volonté des photographes, ou des commissaires d’exposition Catherine Dufour et David Campany.

mercredi 12 janvier 2011

Mémoire d'outre tombe, Sophie Calle l'impudique?

«Elle s’est appelée successivement Rachel, Monique, Szyndler, Calle, Pagliero, Gonthier, Sindler. Ma mère aimait qu’on parle d’elle. ». Voilà ce qui pourrait suffire à synthétiser l’œuvre de Sophie Calle. En habitant l’entresol du Palais de Tokyo, elle s’accapare ce lieu lugubre et en friche, en y apportant une note de douceur et de familiarité.
Sophie Calle n’est pas là pour parler d’elle, au contraire, elle se retire devant la personnalité surprenante et envoûtante de sa mère. « Morte le 15, à 15 heures », l’artiste, retrace le décès de celle-ci, comme une extériorisation de sa douleur de la perte d’un être cher. Un hommage à contre-courant du macabre, et du pervers, c’est un discours émouvant et intime sur l’amour d’une fille pour sa mère, dans lequel il nous est permis de nous immiscer. Des textes, des photos, des vidéos et des objets diverses sont clairsemés dans ces 9 000 m². C’est au visiteur de lever les yeux au ciel, de prêter attention aux détails et aux objets épars, s’il veut pouvoir reconstituer à la manière d’un puzzle, ce saisissant message d’amour maternel. L’aspect morbide et humide du lieu se retrouve amplement réhabilité par l’occupation intime de l’artiste.
Sophie Calle n’hésite pas à faire du Palais de Tokyo l’atelier de son échappatoire affectif. Elle fait parler les murs, les incorpore dans son histoire et leur donne vie. Ce geste d’art impudique traduit en réalité une mise à nu discrète et délicate de cette femme déconcertante. Bien plus qu’une simple exposition, l’instant crucial de toute une vie nous est narré. Sophie Calle nous parle de la mort avec ironie et espoir. On l’en ressort ému, touché, affecté, bouleversé, en bien ou en mal, mais dans tous les cas, on ne peut y être insensible.



Alice Alzon (prépa Celsa)