samedi 7 mai 2016

Room : Le grand monde de Jack



Une mère et son enfant sont enfermés dans ce qu’ils appellent la «  Room ». Par qui, pourquoi, nous n’avons pas tout de suite les clés. On découvre leur quotidien au sein de cet espace clos, qui est le seul univers pour Jack, l’enfant, n’ayant connu que la « room », les histoires racontées par sa mère, et la télévision. Un quotidien structuré par une mère, Joy, désirant donner quelques repères à son fils. Un jour, elle prend la décision de s’enfuir, et c’est son fils qui assumera cette responsabilité…

Filmé comme un huit clos étouffant, le film se découpe en deux parties, plutôt inégales. Un début dans la « room » trop bref, ne nous montrant pas assez la temporalité vécue par les personnages. De plus, la clé de l’intrigue est dévoilée assez rapidement, par un monologue qui arrive de nulle part, subtilité aucune.

Malgré tout, dans cette partie, la room est filmée comme un monde à part entière, grâce au point de vue de Jack, l’enfant : le parti pris, justement, est de filmer une histoire sordide d’un point de vue, innocent, naïf. Le réalisateur ne cherche pas à se concentrer sur le passé de la mère (on ne voit ni les viols, ni le kidnapping etc.) là ou d’autres auraient pu nous écraser de flashback larmoyants. Cependant, avec un tel sujet, on ne peut échapper à un pathos tout en violons et ralentis. Mais mention spéciale à l’actrice Brie Larson tout en retenue et subtilité et à l’enfant joué par Jacob Trembley qui porte une grande partie du film sur ses épaules.
Dans cette première partie, « Old Nick » (la présence hostile et ambiguë) est au premier abord « caché », seulement vu à travers les yeux de l’enfant. Malheureusement, ce parti prit audacieux et balayé par une mise en scène classique. N’aurai il pas été mieux de garder son identité incertaine ? Surtout qu’il vite éclipsé, le centre du film étant la relation mère-fils.

La seconde partie s’attache à raconter l’après. Comment pour l’enfant découvrir un monde dont il ne connaît rien, et comment pour la mère se reconstruire dans un monde qui lui était familier et qui est lui devenu étranger. La difficulté aussi pour l’entourage, lui aussi traumatisé par cette expérience, et qui doit apprendre à accepter l’enfant. Jack est issu d’un viol, et le scénario ne l’oublie pas.

Le point de vue de l’enfant reste omniprésent : il ne cesse d’être en marge dans ce monde qui est n’est pas le sien : il ne sait pas communiquer, il a perdu ses repères. Il demande régulièrement à rentrer chez lui : la room. La dernière vision de cette pièce sera celle d’une chambre exigüe, alors que la mise en scène de départ nous la faisait voir comme étendue. C’est encore grâce au parti prit du point de vue de l’enfant : maintenant qu’il connaît le monde, son ancien univers lui paraît bien fade.

Une réflexion sur l’enfermement physique autant que moral est posée : ils sortent d’une certaine zone de confort, pour se cloisonner dans ce nouveau monde : même lorsqu’ils sont dehors, ce n’est qu’à travers une fenêtre qu’on les voit. La réalisation dépeint ce nouvel cloisonnement : ils sont toujours enfermés par le cadre. Même s’ils sont sauvés, libres, ils restent enfermés moralement.
Une question se pose aussi sur les médias et leur récupération d’affaires sordides : contrainte d’acceptée une interview glauque, intrusive et qui s’infiltre les émotions, Joy sera détruite par la vision extérieure de son histoire.

Le film oscille entre drame psychologique et thriller : la scène principale, qui se trouve au milieu du film est un tour de force narratif et esthétique. Angoissante, vécue de l’intérieur par les yeux de l’enfant, elle est à la fois signe de liberté (seul moment où l’on est vraiment à l’extérieur) et inquiétante, réalisée comme un film à suspense. Room est un film dérageant, bouleversant de réalisme, avec une réalisation soignée malgré quelques intrusions larmoyantes et incongrues. Une jolie réussite.


Alice Pasquet – Juliette Vandorpe

mardi 3 mai 2016

Critique: La Part et l'Autre - Accord de trois, Jean Michel Sanejouand


 La Part et l'Autre - Accord de trois, Jean Michel Sanejouand

En ce samedi 26 mars, alors que je me trouvais au Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut, pour voir l'exposition sur Amedeo Modigliani, c'est un artiste, hélas bien moins connu, qui attira mon attention avec une de ses œuvres dévoilées dans la collection d'art moderne.
Il s'agissait d'une des œuvres du peintre et sculpteur Jean Michel Sanejouand, intitulée La Part et l'Autre – Accord de trois, qui faisait face à l'entrée de la pièce, comme pour inciter tous les regards à délaisser les autres tableaux et à se concentrer sur lui. Constituée de trois toiles placées l'une à côté de l'autre, chacune d'environ deux mètres sur un mètre, cette peinture, ou plus précisément cette acrylique sur toile, se caractérisait dès les premières secondes par l'importance du blanc, des parcelles de toile vierge, qui coupe les motifs de tout lien avec la réalité. L'origine religieuse et sacré de ce format de l'oeuvre, qu'est le triptyque, mis en avant une symbolique qui semblait être celle de la vie et de la mort, avec une toile au milieu qui nous révélait un arbre aux branches anguleuses, tordues, et dénudées de toute vie, une nature apparaissant comme morte, et avec des toiles sur les côtés qui dévoilaient des doubles traces de brosse se tortillant sur la toile, autour de motifs indéfinissables et de masques finement décorés, dignes d'une fête de carnaval, emplis de gaieté, de vie, ou bien au contraire pouvant être vu comme des masques funéraires avec des yeux vides, marqués par l'absence de vie.
On note dans cette œuvre un contraste fort avec la toile du centre qui montre le statique, la rigidité, la mort, et les toiles des côtés qui montrent un ensemble de coup de peinture qui virevoltent en tous sens, avec légèreté, créant ainsi un chaos qui est accompagnés par les filets et les gouttes de peinture qui témoignent de la rapidité du mouvement du peintre, mais aussi une certaine ambivalence avec les doubles coups de brosse qui montrent un arrêt brutal, une cassure dans l'élan, une stagnation, mais qui expriment aussi un rebroussement, un changement d'avis, une évolution de la pensée.
Ces masques et traces sont accompagnés de motifs abstraits que l'on ne peut définir précisément et qui ainsi laissent place à l'imagination du spectateur pour reconnaître une forme et trouver une signification. On peut y voir un oiseau ? Une feuille ? Ou juste une broche ? Tout ce qui peut venir à l'esprit du public. Et cela va créer une distanciation, tout comme avec les masques fixant le public mais aux regards vides. Il y a une invitation du spectateur à trouver en lui même la problématique que soulève l'oeuvre, ce triptyque ne questionne pas mais invite à un questionnement du spectateur sur lui même, qui est intime, l'artiste ne guide plus le public.
Il s'agit donc d'une œuvre moderne abstraite, qui reprend un aspect sacré et symbolique, ceux de la nature, de la vie, de la mort, et de l'absence, et qui en appelle à une réflexion sur soi par sa distanciation. 

Corentin Le Jeune, AS1