mardi 11 mai 2010

ICE, insaisissable et glaciale expérience.

Architecte de formation, François Verret nous le fait ressentir lorsqu'il nous offre ce spectacle, ICE, où l'espace est utilisé à merveille, où le vide devient architectural, où l'étendue nous renvoie au manque, éclatant notre regard par des lumières structurant l'espace.

C'est l'histoire d'un homme, déboussolé par l'absence de sa douce. Tout au long du spectacle, nous voguons de désespérance en désespérance, de plaintes charnelles. Menés par un marionnettiste, les danseurs, frénétiques, entrent en transe. S'offrent à nos yeux des chorégraphies tourmentées, saccadées, répétées. Des stéréotypes nous apparaissent inconsciemment. Peut on parler de danseuses de charme pour ces danseuses aux corps pailletés, sensuels dans ces énivrantes danses? De fétichisme pour ces hommes se livrant à des duos agressifs, attachés ou soumettant la femme? Tout comme son message, le spectacle reste insaisissable. Ce qui se passe sur la scène est insaisissable, tout d'abord par ce voile, cet écran, nous laissant un lien glacial avec les danseurs et musiciens.

Mais il en est de même pour cette scène, où cette femme est enfermée dans dans un carré de lumière. On sait que, techniquement parlant, le carré représente l'enfermement, et que les metteurs en scène contemporains revisitent la scénographie avec comme élément phare la lumière. Cette femme, emprisonnée, semble tenter se hisser, afin d'échapper aux trois hommes, immobiles derrière elle. Un flash inconscient nous fait voir une streap teaseuse, danseuse de cabaret se donnant à une danse charnelle, sous les regards avides d'hommes désireux. François Verret met en cause les relations dans ses spectacles, se questionnant sur l'identité humaine. Dans Ice, il joue énormément en duos. Nous assistons à un glacial voyage, entre musique, flots de paroles outreManches qui nous laisse largués dans cet univers. Les costumes sont de fourrures ou de paillettes, flocons ambulants de pacotille, et tout est fait pour qu'à aucun moment nous émergions de ce voyage.

Le metteur en scène revisite les codes du théâtre. Il tente d'explorer une nouvelle ère, nous faire expérimenter une langue intime, spectaculaire. Pour cela, il y mèle images d'animation, d'archives, marionnettes, ombres chinoises, musique et danse. Convoque tous nos sens en projettant un souffle glacial dans la salle. Il explore l'ensemble de l'espace scénique jusqu'au fin fond de la boîte noire, tout comme il viendrait happer notre attention et nos sens au fin fond de notre esprit, le dénudant de tout sens.

La pièce est en anglais, non traduite, et c’est aussi ça, décrocher du sens : dériver vers la sensation, recevoir des évocations en lieu et place d’une explication textuelle. S’imprégner de cette polyphonie tantôt litanique tantôt musicale. Oppressé par la vacuité de ces instants décousus, le spectateur ne sort pas apaisé. Le regard est un peu écorché par cette absence coupante comme de la glace. On se perd dans un manque de sens voulu, dans lequel il faut accepter d’entrer pour être soi-même concerné. Www.lestroiscoups.com

Lorsqu'il nous en libère, nous spectateurs, avons ce sentiment de frustration de n'avoir pas tout saisi. François Verret affirme vouloir « Faire naître au spectateur des sensations qu'il ne peut rationaliser », et c'est en effet le cas. Nous n'arrivons pas à nous focaliser sur une scène, un sentiment censé. Comme si ce tissu noir, drapé, ne nous avait pas, tout comme le personnage, arraché, figé notre esprit. C'est, je pense, un spectacle interpellant, suscitant une forte impression pour les novices en terme de danse contemporaine. Mais ce spectacle répond cependant à sa langue. Et c'est une langue où le corps émet un message universel, mais, tout comme l'humanité, malgré tout insaisissable.


Sophie Eschbach AS1

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