mercredi 12 mai 2010

ICE brise la glace des terreurs de l'Homme actuel.

« Grandement inspiré par le texte éponyme de l'écrivain britannique Anna Kavan (1901-1968), Ice s'aventure loin, si loin de la médiocre chanson du monde environnant. Et pourtant, nous l'accompagnons sans la moindre peur. » Daniel Conrod, Telerama n° 3038 - 05 avril 2008.

Il est vrai que la dernière création de François Verret permet une intense immersion du spectateur dans l'univers torturé d'Anna Kavan, à tel point que les applaudissement se font attendre à la fin du spectacle : quelques secondes étant nécessaires pour encaisser le retour à la réalité. Pendant toute la durée du spectacle le spectateur est coupé du monde, il est confronté à une œuvre en dehors de tout espace et de tout temps, puisque l'un et l'autre seraient trop réducteurs, trop concrets pour porter le message de François Verret. Ce message si puissant de deux êtres hantés par la perte de leur amour. On ressent le déploiement de la folie, la quasi-scansion du texte, l'omniprésence du noir, le passage des rideaux qui choisissent de montrer ou de faire disparaître les corps, comme des ombres maléfiques, les corps suspendus, tordus, tout concorde à troubler le spectateur. Sans pourtant l'effrayer, souligne Daniel Conrod. En effet, Ice ne choque pas, ne cherche pas à impressionner, d'où vient alors ce trouble? Probablement de l'imminence d'une catastrophe qu'on nous fait ressentir : la glaciation nous guette, va nous pétrifier. On se questionne donc : ne sommes-nous pas d'ores et déjà figés ?

François Verret compose donc un immense tableaux assez complexe ou les couleurs se mélanges tout comme les personnages (notamment de rôle de « the girl » qui est partagé entre tout les acteurs présents sur scène). Ce tableau a pour principal thème de montrer les peurs de l'Homme: la glaciation, la séparation ultime, la puissance destructrice ou la soumission insupportable sont autant de sujets abordés. Le tout sur une mise en scène du mouvement. En effet, Ice est un de ces spectacle qui remet enfin à l'honneur le corps, le mouvement et redonnant au texte sa véritable place : celle d'un élément nécessaire à la construction d'une œuvre et non pas le centre d'une œuvre. Preuve en est qu'ici le spectacle n'est pas traduit, ce qui permet de se concentrer sur le ressenti et non plus sur le sens. François Verret propose donc une véritable œuvre basée sur une dramaturgie du mouvement qui rejette l'hégémonie du texte, dramaturgie qu'on peut retrouver chez des metteurs en scène comme Roméo Castellucci ou Dario Fo. Ici l'espace est au service de la sensation, le corps est au centre de la représentation. La lumière les découpe, les inclut ou les exclut de cet espace. La musique sublime le chant, rythme les scènes et participe à la sensation de déséquilibre des acteurs, n'étant pas linéaire mais bien fragmentée et distordue. La danse, enfin, véritable moyen de l'expression des corps, comme dans cette scène marquante ou deux hommes se battent dans un cercle de lumière. Les rôles de dominés et dominant s'inversant à l'infini, seuls les corps peuvent montrer la violence à laquelle mène se schéma tellement présent dans notre société actuelle.

Pour moi, Ice a été un moment dérangeant, je ne me suis pas sentie "détachée du monde" mais bel et bien transportée, pour me retrouver dans "lieu" où tout disparaît, où tout est éphémère. On y voit les peurs ancestrales mises à nues, même si je suis d'accord avec Daniel Conrod lorsqu'il dit que le spectacle n'effraie pas le spectateur. Montrer l'effet des peurs ne la provoque pas. Toutefois j'ai été troublée par l'omniprésence de la couleur noire dans la mise en scène, par l'utilisation de la vidéo et par la danse qui brise les corps, il s'agit pour moi des éléments indiquant la fatalité et la misère de l'Homme, notamment dans la première vidéo présentant des monceaux de corps détruits.
J'ai également été frustrée de ne pas comprendre le sens des paroles, ayant l'habitude des spectacles "à texte" mais je pense que cette volonté de sens verbal va disparaître peu à peu dans l'esprit des spectateurs, si les mises en scène continuent à tendre vers l'expression autre que verbale, ce qui me semble souhaitable.

Ainsi, Ice saisit le spectateur en évoquant les peurs de l'Homme au travers des corps mis en valeurs par une dramaturgie de la sensation, du sentiment.

Mathilde Bagein, AS1

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