dimanche 7 avril 2019

ZEITGEIST de Fabien Zocco - installation connectée - programme spécifique sur ordinateur, vidéoprojecteur, 2018.

L’artiste c’est lui, Fabien Zocco. L’oeuvre, c’est ça, Zeitgeist. Et c’est dans l’immensité de la salle d’exposition de l’Espace Croisé qu’elle est projetée. 
Plongée dans la pénombre, cette installation connectée attire immanquablement notre regard. Ce bleu néon, une évocation aux cassettes vidéos que l’on rembobine peut être, contraste avec la sobriété déconcertante du lieu. Un mot blanc apparaît, furtivement, le temps d’une fraction de secondes avant d’être remplacé, irrémédiablement, par le suivant. 
Une course à la montre ininterrompue. Les phrases infinies, dans la parfaite continuité de l’écriture automatique et des cadavres exquis des surréalistes, relèvent de l’absurde. 
Ces mots, martelés inlassablement sur la surface de l’écran, sont extraits des paroles des 20 chansons qui, le jour même, se trouvent être les plus téléchargées sur iTunes. L’algorithme en place capte dans une première chanson un mot, puis va l’associer avec celui venant après ce même mot mais de provenance d’une autre chanson. Et ainsi de suite. Tel un saphir de vinyle qui suivrait un sillon, puis saute quelques secondes sur un autre sillon. 
Cet étonnant jeu d’associations produit un remix textuel sans arrêt en évolution, réactualisé où chaque phrase est clivée entre logique sémantique et une incongruité évidente. Des langues se mélangent, sans distinction aucune, à la recherche d’une cohésion de fortune. 

Curieusement, dans ce vaste plateau fait de béton, il s’agit de la plus silencieuse de toutes les oeuvres qui nous propose une réflexion autour de la musique. Quelle gageure, quel affront !

Zeitgeist, pour les non germanophones, désigne le climat intellectuel et culturel, jugements & habitudes de pensée d'une époque. Pourrions nous comprendre que ce que Fabien Zocco appelle des « chansons de supermarché » seraient l’acmé de notre civilisation ? Chaque jour, le contenu que Zeitgeist transmet est redéfini selon le goût du plus grand nombre. Pourtant, le fait est que l’oeuvre, en fonction depuis 2018, ressasse sempiternellement les mêmes champs lexicaux, termes et expressions, met en exergue la vacuité, la fadeur de ces « nouvelles » productions de l’esprit. La rapidité du dispositif rappelle la brièveté du phénomène de ces ersatz d’artistes copiés-collés, qui apparaissent et disparaissent laissant place à des clones. 
La vision du démiurge apparait alors comme ironique, dès lors qu’il fait s’entrechoquer l’idée que nous avons d’une oeuvre d’art, censée être unique et immuable, éternelle comme gravée dans la pierre à un produit aisément corruptible, aux allures de slogan publicitaire, de logo. Le choix de cette forme minimaliste contraste avec le clinquant du star-system, du mainstream, faisant « beaucoup de bruit » pour rien, en définitive.
Ce flux continu propose un « texte de fond » l’équivalent d’un « bruit de fond », ces sons ou ces mots en l’occurence auxquels nous sommes confrontés en y prêtant une attention distraite. Faisant fi des 3min30 habituelles, l’oeuvre exalte un vomi de paroles, un arrangement mutant, compulsif, presque fou. 
Le dispositif met ici le public face à la machine de manière frontale, elle contre l’idée reçue que le numérique doit obligatoirement être interractif, laissant le vivant dépossédé, dans une posture exclusivement spectatorielle.
Ici, la machine apparait comme dans une tentative de transcendance, en essayant de s’accaparer des attributs typiquement humain, à savoir la capacité de créer. Elle le fait toutefois de manière bornée, monomaniaque, trahissant son aliénation à un fonctionnement mécanique. 

L’oeuvre, c’est ça, Zeitgeist. Mais ne serait-elle pas également l’artiste ? Dès lors que Fabien Zocco a achevé son travail de programmation, cette langue exotique permettant de donner des directives à la machine, celle-ci prend inévitablement une part d’autonomie. Elle s’avère être à la fois dépositaire et effectrice, elle compose aléatoirement avec le matériau à sa disposition. Si la machine manipule froidement de pauvres textes, si l’artiste porte un discours teinté d’élitisme, au public de comprendre s’il s’agit d’une condamnation (pointer du doigt cette immense supercherie), ou bien d’une tentative, dans un sens, de ré-enchanter ce qui est superficiel et creux. Ce melting-pot hypnotique nous renverrait inconsciemment à ces tubes du quotidien, nous faisant au mieux sourire, au pire grincer des dents face à cette inexorable emprise.

Yaël Pignol - MCA3

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire