dimanche 7 avril 2019

Je suis un combat de Tokou


Ce film traite bien évidemment du partage. Du partage d'un repas, de moments de complicité au partage d'un joint entre amis pour enfin décompresser à la fin d'une dure journée. Mais également du partage d'une souffrance, d'un contrôle de police. D'un contrôle de police abusif, d'un meurtre, d'un combat: la lutte contre ces violences policières qui, chaque jour, tuent des hommes, des fils, des amis, des pères avec qui nous ne pourront, hormis nos souvenirs, partager que ce combat.

Thème: injustice sociale et raciale 

«  Si seulement cela pouvait rester un souvenir »

Dans le cadre du Nikon film festival de 2018, dont le thème était le partage, Tokou Bogui réalise un court métrage engagé, révélateur des discriminations qui existent encore aujourd’hui. 

L’histoire de ce court métrage, c’est un moment de partage entre un garçon et ses amis qui finit par une arrestation policière. 
Autant dans sa façon de filmer, dans son montage que dans ses choix sonores, la réalisatrice réussit de façon grandiose à soulever un problème majeur: l’injustice sociale et raciale.

Emportés dès le départ par un chant et des bruits de pioches qui font références aux esclaves qui travaillaient dans les champs de cotons, nous sommes au premier instant ancrés dans la thématique.
Ce choix musicale rappelle que c’est un combat -d’où le choix du titre- qui dure depuis des siècles et que le sujet est encore d’actualité. Ce type de chant permettait aux travailleurs de synchroniser leurs mouvements et de mieux supporter les tâches pénibles. Les coups de pioche soulignent la pulsation et accompagnent le chant. L’outil est utilisé comme un instrument.
Ces chants lancinants et répétitifs étaient transmis par tradition orale. Ils étaient chantés A Capella en utilisant le principe de la technique responsoriale.
La musique occupe une place centrale dans le film, puisqu’elle vient rythmer intensément l’intrigue et rappelle le combat incessant contre le racisme.

Tous les choix esthétiques et techniques sont révélateurs du sujet qu’elle veut porter, aucun personnages ne parlent. Est-ce qu’ils ont réellement le droit à la parole? Est-ce que leur parole est réellement écoutée et prise en compte ?
Tout simplement ce types d’actions nous laisse également sans voix, et la puissance de l’image est suffisante pour exprimée l’idée: l’absence de paroles est alors pertinente. 

En optant pour un court métrage uniquement en noir et blanc, cela rappelle le souvenir, souvenir de l’histoire des noirs, d’une histoire qui aujourd’hui pèse encore sur les conscience et fait preuve d’une discrimination permanente, de la lutte contre ces violences policières qui, chaque jour, tuent des hommes, des fils, des amis, des pères avec qui nous ne pourront, hormis nos souvenirs, partager que ce combat.
Le noir et blanc permet aussi d’affirmer: on ne peut pas revenir en arrière, ce qui est fait est fait. 

D’origine africaine, la réalisatrice s’engage à sa façon à travers l’art, le cinéma, pour dénoncer ce qui la touche: « Timidement passionnée depuis toujours, je fais des vidéos humoristiques sur internet depuis 2 ans. C'est à cet instant que mon intérêt pour le cinéma s'est aiguisé. Grâce à la réalisation de ma première Web série j'ai su que la réalisation et la scénarisation étaient pour moi une vocation ».

Ce travail artistique est significatif grâce un montage révélateur de sens, qui conduit le spectateur à se sentir concerné par le propos, Tokou choisit par ce montage alterné d’accentuer une situation initiale paisible, un moment entre ami, un partage de complicités, une scène de vie quotidienne et surtout deux groupes différents de garçons qui n’ont rien à voir dans leurs actes.

Le personnage principal partage une pizza avec ses amis, en face d’eux un autre groupe partage également quelque chose: un joint. Suite à son repas lors de son départ il dit bonjour à ce groupe, en ayant aucun rapport de consommation illégale. En traversant un pont de dos, il ne voit pas la police arrivé, les jeunes partant en courant échappent à la police et lui, se fait arrêter: un amalgame accentué par différents choix. 
On peut ici soulever, à mon avis, le seul flou du film, on se demande comment le personnage ne peut entendre les personnages courir et la police arriver. 

Par ailleurs, dans cette scène également, la temporalité signe une « puissance déconcertante » dans le propos: une voiture de police qui arrive et ne prend pas le temps de savoir qui sont ces personnes et quelles sont leurs activités. Le ralenti dans un premier temps puis l’accélération de la scène, signifie la rapidité d’un tel acte qui ne permet même pas de réagir, la parole coupée qui ne permet pas de s’exprimer, la violence augmenté non justifiée …
Cette temporalité est aussi présente dans la musique en fond, les bruits de pioches s’accélèrent tout autant que la situation s’aggrave. 

Finalement, quel point commun ont ces personnages? Nous assistons au début du film à de gros plans en montage sur chacun des individus, chaque personne a son histoire, ses actions, elle dissocie chacun de ses personnages par ses plans, ils ne sont pas semblables, leurs seul point commun ? Ils sont noirs.

L’indignation et la tristesse ressenties à la lecture de ce film sont également marquées par le parallèle avec le tragique incident d’Adama Traoré: ce jeune homme âgé de 24 ans avait tragiquement perdu la vie, le 19 juillet 2016, à la suite de son interpellation. Une affaire judiciaire qui avait soulevé de nombreuses questions notamment à propos de la lutte contre le racisme et les violences policières.
C’est par, encore une fois, son montage alterné que Tokou fait le parallèle entre ces deux histoires, et les images des manifestations pour Adama directement misent en parallèle avec la souffrance du personnage lors de son arrestation souligne: pourquoi cela perdure encore? 

Mettre en image des manifestations, des discours qui ont eu lieu pour ce combat c’est montrer tous les dispositifs qui ont été fait pour dénoncer, l’utilisation du 7ème art est une forme de plus, sera-t-elle plus percutante ? 

L’écho général, c’est une lutte raciale qui perdure, et quand cela va-t-il s’arrêter, une France synonyme de liberté, d’égalité et de fraternité qui est capable de réaliser de tel actes. 

Le film se termine par le seul bruit extérieur à la musique, une respiration accélérée, qui nous fait penser, quand est-ce qu’ils pourront enfin respirer librement? 

Sans haine et avec sincérité, la cinéaste en herbe livre un drame authentique sur l’injustice sociale et raciale qui persiste encore et toujours dans notre société. Un film poignant qui remémore avec justesse les mémoires d’un jeune homme tragiquement disparu.

La réalisatrice se positionne dans un cinéma engagé, interpelle le spectateur et le monde, fait état des lieux des événements et pose la question: comment faut-il faire pour vous faire réagir? 
Le 7ème art traduit par des images et permet de choquer, à mon sens, plus que des discours ou des paroles.

En espérant, que son film soit porté à récompense, Tokou est en liste parmi les finalistes du concours, résultat le 28 mars. 
Théa PETIT, AS3

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