samedi 1 avril 2017

Katy Aphrodite - Mark Ryden


Katy Aphrodite, une huile sur toile d’une dimension de 86,4 cm sur 91,4 cm mettant en scène la chanteuse Katy Perry dans un décor idyllique, a été réalisée et présentée en 2014 au sein de l’exposition The Gay 90s West à la galerie Kohn de Los Angeles. 
L’artiste américain s’est également chargé de la création du cadre, qui, à l’image de la peinture, est méticuleusement travaillé, très détaillé. Son travail si j’avais à le qualifier, j’utiliserais des termes tels que hallucination, ésotérisme, onirisme, mystère, souvenirs d’enfance, paysages enchantés, tout cela savamment lié à la sauce pop. Un Walt Disney déjanté comme j’ai pu une fois le lire, une qualification que je trouve particulièrement juste, il parvient à marier l’innocence la plus pure avec l’effroi, la candeur avec la boucherie.

En s’appropriant les codes du kitsch, il propose une revisite caustique de l’histoire, tout en couleurs pastels. Il présente des sortes de mondes parallèles « peuplés d’enfants aux allures de poupées perverses, des animaux aussi mignons que mutilés, ou encore de monstres comiques et parfois terrifiants. Il a également collaboré avec des chanteurs tels que Michael Jackson en créant la pochette de son album Dangerous, les Red Hot Chili Peppers pour leur album one Hot Minute, ou encore l’écrivain Stephen King pour la couverture de son livre Desperation. 

Ce lien étroit avec la culture pop, la culture "mainstream" entre guillemets est tout à fait intéressant selon moi, et est à considérer. Entre eux il y a comme un jeu de ping pong : il met au service ses talents pour des chanteurs et écrivains grand public, et en retour tous les représentants de cette culture vont s’immiscer dans ses toiles, comme une sorte d’écho, ou plutôt même de miroir. Katy Aphrodite est à mon sens est tout à fait représentatif de son travail. 

Dans une scène qui semble comme hors du temps, Ryden mêle astucieusement une chanteuse profondément américaine avec des éléments provenant des folklores des quatre coins du monde. Un tableau que je qualifierai d’anachronique : une personnalité plus habituée des selfies, ici que nous retrouvons peinte. Cette scène apparait comme plutôt sobre, très paisible rappelant les  chefs d’oeuvres des maitres des temps passés, dont seule la couleur des cheveux de la jeune femme évoque ses clips très acidulés dans lesquels elle tourne habituellement. 

Ici, la chanteuse prend la pose, à la manière des muses des peintres d’autrefois. Ryden emprunte les codes, les clichés de la peinture classique pour introduire Katy Perry. 

Assise, adossée contre le tronc d’un arbre, elle fixe le spectateur d’un air absent, elle semble presque inerte. Son corps est anormalement maigre, contrairement à sa tête qui est immense, et ses yeux gigantesques qui nous fixent, des yeux cartoonesques qui peuvent rappeler la marque de fabrique des dernières héroïnes Disney, aux proportions qui défient les lois de la nature. 

Vêtue d’une robe extravagante, il est d’ailleurs à parier que la chanteuse en a déjà porter une de ce style dans la réalité, celle-ci est composée de fleurs de toutes les couleurs, qui contraste avec sa peau d’un blanc immaculé, presque cadavérique, comme les personnages des films de Tim Burton.

L’artiste dispose autour d’elle quantité d’éléments forts d’une symbolique : on y retrouve différentes allusions à la déesse Artémis, déesse grecque de la chasse. Prenons par exemple le scorpion, qui avant de devenir le 8ème signe du Zodiaque, il est celui qui par ordre d’Artémis piqua vivement au talon le fier Orion. On note également un de ses attributs, la biche. Toujours chez la mythologie greco-romaine, on peut observer le buste de la Vénus de Milo, statue à l’honneur de la déesse Aphrodite qui semble regarder d’un oeil mauvais Katy Perry. 

Ensuite, on peut remarquer des références directes avec la religion chrétienne, notamment avec la petite statue de la Vierge Marie, et d’une manière plus générale le lieu en lui même qui peut faire penser au Jardin d’Eden, ce lieu de délices, ce paradis sur terre pour Adam et Eve. Le mot Eden vient d’ailleurs de l'hébreu signifiant "fertilité, abondance, plaisir, délice ». Il est décrit dans la Bible comme un jardin toujours verdoyant, où poussent des fleurs et des fruits et où vivent des animaux pacifiques. Tout y est ! Même la coupe remplie de pommes, un clin d’oeil au fruit défendu mangé par Eve. 

Pour finir dans la description, on peu observer l’allusion aux cultures et rites orientaux avec le rat, un des signes du zodiaque chinois, et également ce monument en arrière plan, dont l’architecture rappelle celle des temples asiatiques. 


Le phénomène du star system n’est pas nouveau, de tous temps les foules ont admiré d’autres êtres : les gladiateurs romains qui étaient l’équivalent modernes de nos footballeurs, durant l’Ancien Régime la cour du roi ressemblait à un système de people… Ici, Rayden met en lumière ô combien les starlettes américaines se voient voué un culte par de jeunes adolescents qui les voient comme des modèles à suivre, presque comme des dieux en soi. La star américaine qui ferait l’objet d’une forme d’adoration nouvelle, des nouveaux dieux, allant presque jusqu’à remplacer les véritables religions : Katy attire ici tous les regards, c’est elle qui est au centre du tableau, là où les yeux se posent, elle est impressionnante. A côté d’elle, les représentations des religions et autres cultes font office de nains de jardin en quelque sorte. 

Je vois dans ce tableau une dénonciation de ce que peut être l’appropriation culturelle, un peu comme des gens le font au quotidien par exemple en possédant des petites statuettes de Bouda juste en guise de décoration sans connaitre la signification que peut avoir cette figure pour différents croyants. Ici, la vierge Marie est ridiculement petite, une potiche de jardin, de plus, le temple pourrait presque faire penser à un nichoir à oiseaux. 

Ce tableau est un pèle mèle, il détient un joli assortiment des différentes croyances du monde, représentées ici donc comme mineures, presque dérisoires. Au contraire, on incarne la super puissance du modèle américain qui tend à surplomber les autres cultures du monde entier en la personne de Katy Perry : c’est une déesse contemporaine, de par sa notoriété, son influence, son pouvoir. Elle a la grosse tête, comme dirait l’expression. 

Je trouve que cette oeuvre est très forte : Rayden prend un peu chez les chrétiens, emprunte chez les asiatiques, dérobe du patrimoine gréco-romain, rassemble le tout, fait un grand brassage, met tout ça au mixeur et BAM il en sort quelque chose de très plaisant, de très agréable à l’oeil. Exactement ce que font beaucoup de films d’Hollywood, ce qui rejoint mon discours sur l’appropriation culturelle. Pour rester sur Disney par exemple avec son film Hercule, qui déforme totalement le mythe du héros : Zeus est représenté comme un gentil père de famille fidèle, etc etc Tout est aseptisé, pour être abordable, divertissant et moral : on picore ici et là pour véhiculer encore et toujours plus le modèle américain, the american way of life à travers le monde : les films Disney doublés généralement dans plus d’une quarantaine de langues afin de maximiser la consommation, et donc les bénéfices. 


Ce rapport Stars / dieux est effectivement intéressant. De tous temps les nobles sont représentés à la manière de dieux en peinture, par exemple Marie Adélaide de France, une des filles de Louis 15, sous les traits de Diane. 
Le stars de nos jours elles aussi se revendiquent comme des êtres supérieurs : Madonna la Madone, Katy dans son clip Dark Horse qui joue les reines d’Egypte,… Des stars qui rivalisent d’extravagance et de débauche, comme les Olympiens qui menaient avant eux un train de vie hors du commun. 
Les stars faisant partie intégrante d’une nouvelle mythologie, sont les successeurs des mythologies antiques : même le titre est intéressant : il ne s’agit pas de « Aphrodite Katy » mais de « Katy Aphrodite » même dans le titre elle passe avant. Hollywood perçu comme un jardin d’Eden 2.0, un jardin d’Eden pop. 

Il s'agit là d'un thème récurrent dans le travail de Ryden, par exemple cette autre oeuvre de lui où l'on peut voir une petite fille prier religieusement Sainte Barbie. Un thème abordé aussi par d'autres artistes tels que Pierre & Gilles, que j’apprécie beaucoup pour leurs créations méta-kitsh, par exemple celle faite sur Zahia, dont le message rejoint un peu celui de Rayden. 


Même si le tableau peut au premier abord ne sembler que beau, décoratif, en grattant un peu le verni on peut découvrir un véritable message derrière, et pas des moindres.


Pignol Yaël - AS1



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