mercredi 27 mars 2019

Sophie Calle et son « Téléphone » parisien: l’ouverture de l’art contemporain au-delà des frontières


C’est en 2011 que j’aperçus l’œuvre de Sophie Calle, nichée sur le pont du Garigliano dans le quartier du 15ème arrondissement Cette œuvre nous apparait au départ comme une sorte d’objet géant, empreint de couleurs vives qui ne vous laisse non loin indifférent. Celle-ci questionne d’une part par son aspect esthétique singulier, et par son volume imposant. L’œuvre est d’ailleurs située de manière à ce que nous soyons presque obligés de la rencontrer, tant celle-ci prend tout l’espace du trottoir. Le préfet de police de Paris avait d’ailleurs vivement critiqué cette œuvre décrétant je cite : « que l’œuvre de S. Calle laissait trop peu d’espace au passant, nous obligeant à empiéter sur la chaussée pouvant donc représenter un potentiel danger. » Ce fut pour moi, au premier abord, une critique tangible, mais qui à mon sens pouvait symboliser une certaine prise de position de l’artiste, qui ne voulais pas laisser les passants indifférents à cette œuvre. Et il est vrai que celle-ci attise une certaine curiosité, qui ne nous laisse pas d’autre choix que d’aller y jeter un coup d’œil, ou du moins de nous en approcher. L’envie de découvrir ce que l’objet nous cache est irrépressible, mais paradoxalement, assez effrayant je dois dire.
 Une fois près de l’œuvre, j’ai pu découvrir à mon grand étonnement que cette fleur gigantesque n’était autre qu’une cabine téléphonique. Le symbole même d’une cabine téléphonique me parut assez anecdotique à première vue, d’autant plus que celle-ci était logée au beau milieu d’un pont parisien, près d’une route. Mais après tout pourquoi pas.
Je remarque que cette cabine est également dépourvu de cadran ou de moyen de paiement, elle ne peut donc pas émettre d’appels, ni en recevoir, mis à part de l’artiste elle-même, ce que nous comprenons assez vite à la lecture de cet écriteaux, situé à côté du combiné :
« Mon nom est Sophie Calle.
Vous êtes dans ma cabine téléphonique
Je suis seule à en connaitre le numéro
Je le composerai régulièrement, mais de manière aléatoire,
Dans l’espoir d’avoir quelqu’un au bout du fil. »

Sophie Calle étant donc la seule à en connaitre le numéro, je lus par la suite que l’artiste s’engagea à faire sonner régulièrement le combiné depuis son domicile de Malakoff à des moments aléatoires (à savoir exactement 5 fois par semaine), afin de dialoguer avec les passants que le sonnerie aurait interpellé. Elle engage donc une discussion avec certains d’entre nous, pendant une durée tout aussi aléatoire. J’ai eu la curiosité et l’envie de rester quelques minutes devant cette œuvre, espérant peut-être un coup de fil de sa part, mais il n’en fut rien. Il est vrai que Sophie Calle nous questionne encore une fois sur le rôle du spectateur car celui-ci a un rôle fondateur à la réalisation de son œuvre. Je fais bien évidemment référence à ses œuvres antérieures comme Carnet d’Adresses, ou encore Prenez soin de vous, qui sont des œuvres toutes personnelles nous invitant, spectateurs, à être à chaque fois le témoin direct d’une histoire que nous raconte Sophie Calle.
N’était-ce pas intriguant d’avoir une artiste, qu’on ne voit qu’à travers son œuvre, nous appeler par le plus grand des hasards ? Le message n’en reste pas moins aguicheur et intimidant, tout comme l’image de cette femme hors du commun qu’incarne Sophie Calle. Un mélange entre une femme de caractère, et une femme qui cache une amertume sensible qui nous bouleverse à chacune de ces représentations.
J’ai lu par la suite que l’œuvre fut vivement critiquée comme étant une œuvre « de gaspillage d’argent public », et qui fut de nombreuses fois restaurés à cause de nombreux tagues, que j’avais pu moi-même encore observé. Mais à mon sens, cela nous amène surtout à nous questionner sur le rapport transgressif que Sophie Calle met en exergue ici. Le caractère public du « Téléphone », qui plus est, se trouvant au milieu d’un trottoir, introduit ici un réel questionnement sur la frontière entre les artistes et la société. Je dirai même qu’elle arrive à toucher un public plus large, un public peut être peu habitués aux galeries d’art ou moins privilégié, en « nous racontant des histoires » comme elle l’affirme.
Son univers artistique respire un grand désir de contact et d’émotion, en invitant le spectateur à participer à ses œuvres, ainsi qu’en partageant des moments propre à sa vie, mais que nous pouvons partager avec elle, sous son invitation et demande personnelle.
Sérine MAHFOUD, MCA1

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