vendredi 26 février 2010

Mirò et Tériade: L'aventure d'Ubu

Planche IV "La revue", Joan Mirò, 1966, prise sur http://www.artactu.com/miro-teriade-l-aventure-d-ubu-article00279.html

Au musée Matisse du Cateau Cambresis, il règne une certaine effervescence depuis quelques années. Alice Tériade, veuve du célèbre éditeur d’art offrit au musée la plus importante donation d’art moderne depuis vingt ans. Et depuis, le musée veut montrer ce qui lui appartient : Matisse et Tériade, Chagall et Tériade, Rouault et Tériade. On l’attendait avec impatience cette nouvelle exposition : Mirò et Tériade : L’aventure d’Ubu. A l’origine, il y avait Jarry qui écrivit Ubu roi en 1896 et qui dessina lui-même un portrait de son personnage. Puis il y eut un désir de la part de Tériade d’éditer des livres qui associent auteurs et artistes, après avoir longtemps été critique d’art, notamment pour les Cahiers des Arts et la Verve. Enfin, il y eut l’amitié entre Tériade et un peintre surréaliste catalan Joan Mirò. Et elle ne nous déçoit pas cette exposition.

Agencée de manière chronologique, elle nous offre d’abord à voir les différentes éditions de la pièce, ainsi que les premières collaborations de Tériade et Mirò sur des revues d’art. Puis, le spectateur peut admirer la correspondance entre les deux amis de longue date, qui donna naissance à cette entreprise ambitieuse et qui travailla Mirò durant le reste de sa vie : les illustrations d’Ubu Roi. Le peintre, qui fut témoin de la guerre civile espagnole puis de la dictature, assimila immédiatement le père Ubu, figure de l’autorité arbitraire et grotesque à Franco, le caudillo qui opprimait son pays. La litographie était la manière que Mirò avait trouvé pour résister contre ce régime totalitaire. Mais Mirò ne se limita pas à la simple commande de Tériade, il s’appropria totalement l’œuvre de Jarry et alla même jusqu’à en proposer deux suites : Ubu aux Baléares et L’enfance d’Ubu. Il travailla chacune d’entre elles sous forme de litographies dessinées au pastel gras. On pourrait presque penser que c’est un enfant qui a dessiné ces planches, qui aurait tracé des culs au crayon, découpé des morceaux de carton pour les assembler, écrire ce qui lui passait par la tête (Mirò fut très influencé par l’écriture automatique mise en place par les surréalistes). On comprend que dans l’imaginaire de Mirò, Ubu a dû faire un tour aux Baléares, îles particulièrement liées à la Catalogne, région d’origine du peintre. Ce dernier fut très marqué par l’histoire de sa province. En effet, Franco prit rapidement le contrôle de la région, lui retira son statut d’autonomie, et fit interdire l’usage du catalan. Pour une province aussi fortement marquée par le nationalisme, la colère et la frustration furent immenses.

Pour moi qui ne connaissait cet artiste que de nom, ce fut une véritable révélation. Cette exposition très complète nous permet d’avoir une vision assez exhaustive sur cette collaboration entre les trois artistes : Jarry, Mirò et Tériade. Nous sommes emportés dans un tourbillon de couleurs, de formes arrondies et énormes, nous plongeons dans un monde enfantin presque naïf en surface, mais qui cache une véritable révolte contre ce que l’on a fait subir à l’Espagne, patrie de Mirò. Cette exposition nous permet de découvrir l’œuvre de Jarry, d’être témoin de l’amitié inconditionnelle que portait Tériade pour Mirò, de l’obsession constante qu’eut ce dernier à illustrer cette œuvre sur tous les supports possibles, que ce soit papier, sculpture ou encore décors de théâtre. Agencées de manière chronologique, les œuvres exposées nous permettent de comprendre le déroulement de cette collaboration de toute une vie. Cependant, pour une personne qui n’est pas familière du mouvement surréaliste, il est très difficile de comprendre et d’interpréter les œuvres picturales de Mirò, surtout que le spectateur manque cruellement d’information. Il est voué à errer de salle en salle, ne pouvant qu’observer en surface les œuvres, sans vraiment être touché, ou il peut encore recourir à l’outil de plus en plus en vogue dans tous les musées mais qui personnellement m’insupporte : l’audioguide. Cette exposition fantastique ne pourrait-elle donc être réservée qu’à une élite alors que le travail de Mirò se veut simple, impulsif, automatique ? Je ne l’espère pas car elle mérite vraiment le déplacement dans cette petite bourgade du Nord.
Léa Herbeth, AS3

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