On connait Alejandro Jodorowsky pour être provocant, c’est dans la nature
de ce touche-à-tout chilien, tout du moins celle de son cinéma. La Montagne Sacrée (1973) en a opposé
plus d’un à juste titre. Mais ce qu’il faut retenir de Jodorowsky c’est une
quête de la spiritualité, la pureté de l’intention y est, qu’on soit en accord
ou non avec les moyens de la mettre en scène. Frank Pavich réussit donc un tour
de force avec son documentaire, plus qu’un film qui ne ferait que nous
présenter la tentative de Jodorowsky d’adapter le roman de Frank Herbert, Dune (1965), au cinéma au début des années
soixante-dix, Jodorowsky’s Dune est
un ovni emprunt de spiritualité.
Un rituel initiatique, voilà ce que fait Frank Pavich du projet avorté qu’est Dune. Un rituel comme ceux chers à Jodorowsky lui-même qui nous raconte ici son projet, de sa genèse à ce qu’il en reste aujourd’hui. Ses talents de conteur en ressorte avec force appuyés par un montage intelligent, tel le héros de Campbell Alejandro est passé par toutes les étapes du voyage : appel de l’aventure, le guide, les épreuves, les alliés, le retour, l’élixir.
Mais si Jodorowsky aurait souhaité que l’« élixir » soit son
film abouti, le « prophète » de l’humanité, celui qui changera notre
regard sur l’univers et notre perception du monde –on peut d’ailleurs lui
reprocher un manque de modestie manifeste, vouloir surpasser la séquence
d’ouverture de Touch of Evil (1958)
d’Orson Welles est une chose, le faire avec humilité en est une autre par
exemple. Le fameux élixir gagné au bout du voyage prend une forme tout
autre : un message d’espoir qui, bien qu’il ne change pas radicalement les
mentalités, vient les bousculer. Frank Pavich, en se faisant intermédiaire
redonne sa modestie au projet de Jodorowsky et nous livre ici une foi intacte
d’avancer, de croire en nos projets les plus fous et les plus ambitieux. Parce
que même dans l’échec il y a quelque chose à gagner. Le projet Dune de Jodorowsky a en effet touché
toute la science-fiction qui a suivi, en commençant par Star Wars en 1977, passant par Alien
(1979), Blade Runner (1982), et
bien d’autres, tous clament « Je suis Dune ». C’est devenu une véritable source dans laquelle on vient puiser
l’inspiration et les références. L’héritage du projet Dune est partout : dans les effets spéciaux, les plans, les
décors, les personnages, et même les mouvements de caméras. La
« bible » qu’a assemblé Alejandro à l’époque pour rassurer les
studios sur son projet et le leur expliquer de A à Z présente le scénario, le
découpage technique, le story-board, les dessins préparatoires de Moebius et
H.R Giger sur l’environnement visuel, et a circulé dans les mains de tous les
membres des studios hollywoodiens pour venir influencer toutes les créations
cinématographiques à venir, encore aujourd’hui.
Ce qu’omet
néanmoins Pavich dans son documentaire c’est la question de la réception de Dune s’il était vraiment sorti en
salles. Jodorowsky ne cesse de le présenter comme un prophète mais un prophète
a besoin d’un auditoire pour prêcher sa bonne parole. Et si finalement ne pas
être réalisé est la meilleure chose qui soit arrivé au projet de
Jodorowsky ? Ne pas être réalisé a permis à Dune de passer à la postérité, de devenir un monument de la S-F et
du cinéma tout en transmettant son propos initial qui est qu’on peut changer
les choses, qu’il suffit de les faire et de les partager. Jodorowsky’s Dune s’approprie d’ailleurs ce discours et réussi donc
en tant que documentaire. S’il avait été réalisé, serait-il vraiment resté dans
l’histoire ? Pas certain.
Et plus que nous raconter comment Jodorowsky a réuni son équipe de
« guerriers spirituels » (Moebius, H.R Giger, Chris Foss, Dan
O’Bannon, Orson Welles, Salvador Dali, Pink Floyd et Magma, David Carradine et
Mick Jagger, rien que ça !) et comment ces derniers ont vécu le projet à
l’époque et aujourd’hui avec quarante années de recul, Pavich nous donne à voir
Dune par le pouvoir de notre
imagination, nous guidant ça et là avec quelques animations, notamment du
story-board, ajouté à la musique de Kurt Stenzel qui nous donne une idée de
l’ambiance sonore dans laquelle nous projeter. Dune ne serait jamais être aussi beau que dans notre imaginaire.
Une idée ne vaut-elle pas bien mieux qu’un objet fini ?
Jodorowsky’s Dune questionne
ainsi l’engagement artistique, la persévérance dans la création, la question du
discours autant que la meilleure forme à adopter pour le transmettre. Fidèle à
Alejandro Jodorowsky et son projet, Frank Pavich nous propose d’atteindre une
certaine spiritualité, une foi en nos rêves. C’est tout simplement une ode à la
création artistique.
Photo de David John Cavallo - © 2014 - Sony Pictures Classics : Alejandro Jodorowsky et Frank Pavich.
Elisa Walbert.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire