mardi 15 avril 2014

Tony Oursler - Phantasmagoria : un parcours aux frontières de la peur


« L’art (comme la magie ou la religion) consiste à imprégner la matière de quelque chose d’indéfinissable. »
Les miroirs ardents d'Archimède
http://www.caracascom.com/fr/8911.html

Véritable magicien de la vidéo, Tony Oursler n’en est plus à ses premiers coups d’essai. Pour cause, il a réalisé l’un des clips du chanteur David Bowie. De passage au Grand-Hornu – ayant notamment accueilli le photographe Christian Boltanski – il se montre tel un fantasmagore pour son exposition phantasmagoria. Parcours où le spectateur – participant de l’œuvre – est contraint d’avoir une réflexion sur son « moi » intérieur, sur ses peurs, sur ses angoisses ; Oursler nous fait déambuler dans sept salles différentes, intensifiant au fur et à mesure le sentiment de peur et rendant un peu plus hommage à celui dont il se considère l’hériter, le fantasmagore Robertson.
« L’œuvre que j’ai réalisée pour l’exposition du MAC’s explore le travail d Robertson, ce qu’il nous a laissé comme héritage et sa continuité dans le monde d’aujourd’hui. »
Tony Ourlser
http://en.wikipedia.org/wiki/Tony_Oursler

Dès mon arrivée, je fus réellement interrogé par une œuvre ressemblant à une sorte de dissection tout en ayant un certain côté psychédélique où le spectateur peut laisser libre cours à son imagination. Il veut nous montrer par là, qu’au-delà de l’œuvre, il désire disséquer notre intérieur pour faire passer ses idées. Juste après, au fond d’une salle assez grande et vide, il présente sa « poupée-vidéo » Getaway II (1995). Projection d’un homme sous un matelas avec en fond sonore sa voix (pour la moins vulgaire) ; il nous met dans le bain directement de ce qu’est son art. Montrant à la fois un homme éveillé, se cachant et étant vulgaire, la tension dans la salle est contrastée avec la présence du matelas, objet du quotidien et en quelque sorte, objet de l’intime où la personne est censée se reposer. Oursler insiste donc une nouvelle fois sur le côté intimiste de son exposition.
« C’est comme si vous ouvriez la boîte crânienne de quelqu’un et que vous regardiez ce qui se passe à l’intérieur. »
Getaway II (1995)
http://www.rtbf.be/culture/exposition/detail_tony-oursler-phantasmagoria-au-mac-s?id=8138120

Juste après, il nous met en confrontation avec ses différentes micros-installations où le spectateur doit avoir un face à face réel avec les œuvres pour en voir les détails. Chacune de ces installations représente une sorte de scénette théâtrale où le phénomène d’« overlooping », inspiré des logigrammes, des machines de Rube Goldberg et de l’esthétique planétaire, nous fait assimiler une multitude d’informations. J’ai vu par là un réel intérêt pour le cerveau humain, la pensée, le caractère mais ces œuvres manquaient cependant de quelque chose. Le message qu’il veut faire passer par là n’est pas forcément vu au premier abord et d’un point de vue esthétique ces œuvres sont plus de l’ordre de l’imaginaire que de la scénette. J’ai donc aimé ces micros-installations plus pour le concept que pour elles-mêmes.

Hobo effect (2012)
http://arthk.insidetradeshow.com/artists/tony-oursler

Dans la suite de l’exposition, il va dans la même continuité mais une certaine lassitude arrive avec ses différentes œuvres. Entre-temps, il nous présente sur grand écran ce qu’est la fantasmagorie et le travail de Robertson. Le visiteur peut également prendre une pause pour lire le livre explicatif de l’œuvre d’Oursler. Un point surement non voulu que j’ai remarqué mais ayant tout son sens est la longue descente dans le musée, nous faisant passer d’un étage à un autre, accentuant cet esprit de déambulation et le fait de descendre encore plus loin dans notre intérieur.

Open obscura (1996 - 2013)
http://www.mac-s.be/fr/6/58/Tony-Oursler-Phantasmagoria

J’arrive dans la salle la plus grande de l’exposition où cette fois-ci, nous sommes confrontés à l’œil humain. Pour lui, artiste visuel, l’œil est une sorte de commencement. Une autre tension s’installe dans cette salle entre les yeux fixe et les yeux en mouvement, nous suivant presque du regard. Cette installation était réellement intéressante pour la vision qu’elle avait du monde, de la société et plus particulièrement de l’ère du visuel. Alors que des yeux sont en mouvement, en vie, sont libres, d’autres sont fixent, regardant une télévision – dont on peut voir le reflet – et étant comme hypnotisés par quelque chose de non réel physiquement. Le sentiment d’angoisse est plus que présent ici car cette œuvre nous permet de voir quelque chose qui nous concerne tous aujourd’hui. Le point négatif est non pas sur l’installation mais sur la continuité de l’exposition n’étant pas en cohérence avec l’œuvre.
« L’œil est le modèle de la caméra et de sa salle de projection. »
Open obscura (1996 - 2013)
http://www.flickr.com/photos/trostprugg/6271798520/

Dans la dernière réelle salle du MAC’s, Oursler nous présente une multitude d’œuvre et le spectateur devient encore plus acteur de l’œuvre. Il dévoile des œuvres portées sur le non visible (IRM) et le visible (les miroirs ardents d’Archimède). Continuant son discours sur la société du visuel avec notamment jeu-vidéo ou portraits robots, il malmène notamment le visage humain, aujourd’hui signe de réussite avec flashed face distortion effect où au contraire la mocheté du visage est privilégiée. Il continue également son discours sur la peur avec dessins d’enfants ou encore toile d’araignée où un certain sentiment de piège est présent. La pièce était réellement intéressante pour son contenu car les éléments présents formaient un tout. On voit ici le désir de faire une sorte de grande conclusion sur les idées qu’il souhaite véhiculer. Le passage à la fin de la pièce entre deux visages est pour lui une manière de mettre un seuil.
« J’ai vu dès le début l’intérêt de mettre le spectateur au défi de créer sa propre image. »
Oeuvres diverses
http://ds1.ds.static.rtbf.be/article/image/1248x702/a/e/e/205043c8a88191ee047f0ebf8b605fa7-1384788835.jpg

La déambulation s’achève dans la crypte où repose Henri de Gorge, fondateur du lieu. Il souhaite nous faire vivre une dernière aventure – sorte d’apothéose sur la peur – en nous mettant dans le noir total avec un simple fond sonore. Œuvre minimaliste, il va à l’essentiel et de nombreux thèmes tels que la peur, le côté sombre ou la religion sont présents. En sortant de cette crypte, le déambulateur ressort avec un certain sentiment, propre à chacun.
« Je jouais avec l’idée du gothique, qui m’intéresse depuis longtemps : la peur, le côté sombre de la culture, les points de rencontre entre religion et divertissement. »
Portraits robots, toile d'araignée, etc.
http://blogs.ft.com/photo-diary/tag/tony-oursler/
Phantasmagoria est une exposition multi thème mais qui va pourtant à l’essentiel. Oursler fait déambuler son visiteur, lui faisant avoir différentes émotions à différents moments et lui faisant vivre un parcours sur la peur. Cependant, une certaine incohérence entre les salles est vue au début. L’exposition commence à avoir un réel intérêt dans la salle contenant open obscura alors que les autres salles m’ont personnellement lassé. Il faut par contre reconnaitre que l’artiste a une réelle maitrise de ses outils et que au-delà du parcours aux frontières de la peur, Tony parvient presque à enlever la frontière entre réel et irréel. Tony Oursler, au-delà de la simple projection vidéo nous fait ici une projection de nous-mêmes, de notre « moi » intérieur et de ce que l’on désire cacher au plus profond. Tony Oursler projette sa vision de l’humain.

Pour terminer, voici une petite vidéo - de Claude T - présentant bien les oeuvres de l'exposition : https://www.youtube.com/watch?v=vbIvOxDa7kc

ANTOINE DEFONTAINE 
(élève en Arts du Spectacle à l'université Catholique de Lille)

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