lundi 18 avril 2011

Robyn Orlin, l'art de briser les conventions





L’Opéra de Lille accueille, le temps de deux représentations, la célèbre chorégraphe Sud-Africaine Robyn Orlin et son œuvre pour le moins surprenante, Daddy, i’ve seen this piece six times before and i still don’t know why they’re hurting each other Ce spectacle, crée par Robyn Orlin en 1998, nous propose une vue de l’Afrique du Sud post-apartheid, sans être effrayé par les clichés et l’autodérision. Parce que « l’enfant terrible », comme on appelle la chorégraphe dans le milieu de la danse, aime décliner les problèmes de son pays dans ses œuvres, tout en militant avec ferveur pour « le vivre ensemble ». Entre danse et théâtre, Daddy… bouscule les conventions de la représentation classique.

Daddy… est un ensemble de saynètes, interprétées par six danseurs, noirs ou blancs, aux physiques bien différents, tous plus loufoques les uns que les autres, et ce pour notre plus grand plaisir.

Le caractère décalé du spectacle se met en place dès que l’on entre dans l’Opéra. Sur scène, un homme noir armé d’un bâton presse les spectateurs, leur demande de s’asseoir, les interpelle en cherchant la cause de leur retard. Mi amusé mi intrigué, nous attendons le début de la représentation, les yeux rivés vers deux écrans placés sur scène, qui nous font partager le parcours d’une sud-africaine qui peine à rejoindre sa place. Le ton est donné, la séance peut commencer.

Vient ensuite ce qui peut apparaitre comme un réel désordre, organisé cependant. Premier signe d’une déconstruction des codes de la représentation. Un dénommé Gérard prend les rênes de la chorégraphie, puisque Robyn ne peut y être présente. Cela bien sûr pour les besoins de l’histoire, puisqu’on reconnait la chorégraphe cachée sous de loufoques lunettes.

S’en suit alors des danses, des musiques africaines, le tout dans un désaccord parfait des danseurs, qui n’ont de cesse de se chamailler. On retrouve là l’un des thèmes de prédilections d’Orlin, la difficulté du vivre ensemble, surtout dans une société longtemps divisée entre les noirs et les blancs. Mais chacun œuvre afin de trouver sa place, ce qui offre aux spectateurs de somptueuses danses de groupes, surtout lorsqu’il s’agit de les regarder – filmées de haut – sur les écrans de la scène.

Ce désir de briser les conventions est d’autant plus clair lorsqu’une gracieuse danseuse noire, vêtue d’un tutu blanc, pratique la danse classique, sur un fond de Lac des Cygnes de Tchaïkovski, puis se roule littéralement dans la farine. Preuve en est que l’artiste chorégraphe souhaite en finir avec les conventions traditionnelles.


La force de Robyn Orlin dans Daddy… est également de choisir de rompre toute barrière entre le public et les danseurs. En effet, en milieu de spectacle, toute la salle est invitée à se lever, et à danser en suivant ce qui se passe sur scène. Grand moment d’amusement et de stupéfaction, puisque tout le public se prête au jeu, créant une parfait « échange culturel » à travers de simples mouvements. Les danseurs s’adressent régulièrement au public, et parfois même surgissent d’on ne sait où, en plein cœur de la salle. Rien ne nous est caché, même la mise en place du décor, des lumières et les changements de costumes se font devant nous.

Mais Robyn Orlin, c’est également une lutte pour l’intégration, la découverte, l’acceptation. Ainsi, partout où elle passe, elle tente d’inviter des danseurs locaux à venir mettre un gentil capharnaüm dans la salle. A Lille, elle fait appel à la troupe de jeunes danseurs hip-hop N’Didance. Joli geste, qui permet à de jeunes talents locaux de se produire sur la scène de l’Opéra.

En somme, Daddy… est surprenant à plus d’un titre. La première surprise est celle de ce que l’on voit, de ce que l’on entend, loin du type de spectacle habituellement proposés à l’opéra. Surprenant une seconde fois, parce qu’on se prend au jeu, on s’amuse, on rit de bon cœur durant une heure trente de spectacle. Enfin, surprenant de par la clarté des messages véhiculés, qui rompt complétement avec le désordre apparent sur scène. Et c’est surtout une belle leçon de vie. Celle de la complexité de vivre et de travailler en groupe, qui peut cependant être dépassée si l’on ne s’arrête pas aux différences qui nous sépare. Robyn Orlin a définitivement mérité la place qu’elle occupe aujourd’hui dans le milieu de la danse.

Capucine Crône, MCC3

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire