« You are not alone ». Par ces mots, Han Nefkens, collectionneur et fondateur de ArtAids résume bien l’idée selon laquelle l’art contemporain peut avoir une influence positive sur la société, en particulier dans la lutte contre le Sida. Cette fondation ArtAids a été créee pour canaliser les ressources financières et les énergies humaines en faveur des personnes séropositives et de la prévention contre le Sida. Outre le fait qu’elle agit dans l’éducation et l’intégration des enfants séropositifs en Thaïlande ou bien encore qu’elle est à la tête d’un programme de recherche à Barcelone, cette fondation promeut des actions liées à l’art contemporain.
Et pour la première fois en France, après Access for all à Bangkok en 2004, Leo Copers at UNAIDS à Genève en 2006 mais aussi More to Love – The art of Living Together à Barcelone en 2008, l’exposition Pilot Light prend ses quartiers à Lille. Cette véritable réflexion d’artistes contemporains sur le Sida s’installe jusqu’au 21 Mars dans plusieurs lieux : L’Espace le Carré, la Maison Folie de Moulins, le Cinéma associatif de quartier l’Univers, le lycée Montebello, l’Hôpital St Vincent de Paul et le centre hospitalier Gustave Dron.
Les années 80 sonnent le glas du « Peace and Love » et du « Flower Power » des Seventies. La dure réalité du Sida apparaît aux yeux de tous et un véritable combat s’engage. Cette maladie va faire des ravages notamment dans les milieux artistiques. Pour de nombreux artistes, côtoyant de près la maladie, l’art contemporain sera un moyen, bien sûr, de s’exorciser du mal qui les ronge, mais aussi, d’informer sur ce virus, d’entamer un dialogue, détruire ces clichés foudroyants de la population avec une volonté certaine : ne pas tomber dans le pathos et ses déboires.
Rejoignant les valeurs de l’œuvre du célèbre Keith Haring, avec ses graffitis enivrants plein d’amour, de joie et de tolérance, l’exposition Pilot Light rassemble une vingtaine d’artistes comme Felix Gonzalez Torres, Robert Mapplethorpe, David Wojnarowicz mais aussi Araya Rasdjarmrearnsook ou Sutee Kunavichayanont afin de révéler à la population lilloise par une approche pudique et digne un art au service d’une cause, comme remède à la maladie avec une véritable envie d’installer un dialogue avec le spectateur.
Photographies, Sculptures, Vidéos, Affiches et Installations se côtoient pour former un fabuleux mélange honnête, créatif et inspirateur. Il serait vain de décrire l’ensemble de la collection mais de nombreux travaux ne laissent pas insensibles. « Thai Village » de Kunavichayanont, est une œuvre qui nous propose un village thaïlandais miniaturisé en bois. Plusieurs maisons traditionnelles agrémentées d’inscriptions nous invitent dans l’intimité des foyers thaïlandais et le tout est supporté par 3 tables d’écoliers. La force de cette œuvre est de dénoncer les tabous et le silence sur la sexualité dans les familles mais aussi de comprendre cette idée de prévention dans les écoles, et surtout critiquer son absence dans les écoles thaïlandaises. Les photographies de Scheidegger au sténopé mettent en valeur des qualités particulières. C’est un travail franc à travers un regard perçant. Comme les autoportraits photographiques de Mapplehorpe très sobre face à l’objectif ou bien encore les affiches poignantes et subversives du collectif Gran Fury « The government has blood on their hands » & « Art is not enought ». Enfin, ne pas parler de Felix Gonzalez Torres, précurseur de cette mouvance artistiques serait un crime. Sous la forme d’installations, l’artiste cubain séropositif dégage toute une poésie par l’intermédiaire, dans le cas présent, d’une pile de feuille A3 rouge avec 4 mots écrits dans chaque coin (Himmler, Hate, Hole, Helms) et les questions « Combien de fois ? » « Pourquoi et pour combien de temps » au verso. En hommage à son ami Ross, victime de la maladie, Gonzalez Torres nous parle du temps qui passe, une méditation sur la mort et sur l’éphémère, évoque la peur de la société en général. Le public peut se servir et prendre une feuille, tel un virus, l’œuvre contamine. Mort en 1996, Torres a travaillé dans la même optique avec un tas de bonbons, des ampoules ou bien encore des pendules. Esthétiquement et conceptuellement très efficace…
Aucunes œuvres ne traitent explicitement du Sida mais plutôt des effets de la stigmatisation provoqués par des maladies à la fois visibles et invisibles. On ne tombe jamais dans le pathétique, les planches de la bande dessinée « Seven Miles a Second » de David Wojnarowicz, membre extrêmement actif de la scène artistique de l’East Village dans les années 80, est un témoignage incroyable de sa volonté de vivre selon ses envies dans une esthétique colorée et stylisée.
Cette exposition met en valeur des problèmes moraux et sociaux en lien avec la maladie. Elle ne tombe pas dans les clichés qui pourraient infecter un thème comme celui-ci. Ces artistes forment un regard rafraichissant, enivrant par sa créativité, totalement intégré dans la provocation de l’art contemporain.
Le titre Pilot Light se réfère à une veilleuse, petite flamme de gaz constamment allumée, métaphore de la source éternelle originelle sans laquelle aucun feu n’est possible. Un feu qui représente la lutte des pionniers des années 80 et la créativité des artistes contemporains pour faire changer les mentalités
Leroy Clément AS3
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