Industrie,
industries...
Critique
de l'exposition de David LaChapelle au Bam de Mons
Esmerald
City – David LaChapelle – 2013
En
ce mercredi 21 février 2018, nous nous rendons aux BAM (Beaux-Arts
de Mons), en Belgique, pour visiter l'exposition de David LaChapelle,
After the deluge, présentée du 28 octobre 2017 au 25 février
2018.
Après
une grande déception en parcourant le rez de chaussée de
l'exposition, mélange entre « hommage » au Pop Art et
fresques à l'évocation mythique, le spectateur se sent démuni,
sans clé de compréhension face à des œuvres déroutantes qui
mériteraient plus éclaircissement.
Il
faut le rappeler, David LaChapelle est un photographe issu du monde
de la publicité et de l'apparence. Son travail se situe dans un
floue entre l'attraction pour ses pairs : Andy Warhol ou encore
Jeff Koons, et la critique de ce monde, bien qu'il puisse s'y
inclure.
Hommes
dont on peut questionner la finalité du travail et l'intention :
Sont-ils des artistes qui profitent du système du marché de l'art
dont ils ont saisit toutes les règles ? Où sont-ils de
véritables créateurs dont la démarche artistique prime sur
l'intérêt économique ? On en doute...
Cependant,
la visite continue au premier étage où deux pièces attirent notre
regard. Nous nous trouvons face à une photographie de taille assez
conséquente d'environ 1m20 sur 1m. Notre regard est plongé dans une
masse colorée, fumeuse, chaotique et mystérieuse : que
sommes-nous en train de regarder ? Il nous faut quelques
secondes pour prendre du recul et nous détacher des innombrables
détails pour discerner la forme générale d'une usine. Nous sommes
surpris de trouver cet objet représenté dans l'exposition. Il faut
savoir qu'à partir de 2006, David LaChapelle prend congés des
studios publicitaires pour s'exiler à Hawaï, mener une vie plus
simple dans la nature. Il y développe plus tard un renouveau
artistique avec la série Gas Station et la série Landscape,
présentées face à nous.
Cette
dernière série est une étude sur notre dépendance au pétrole et
la consommation abusive dont nous en faisons l'utilisation. Le sujet
évoqué provoque un double ressenti. D'un côté une attraction due
aux couleurs acidulées (rose flushia, bleu flashy), à la profusion
de lumières scintillantes et aux formes attrayantes ; et d'un
autre côté une répulsion face à ces immenses machines, un
sentiment d'être tout petit à côté de cette imposante structure
massive. L'apparence très animée du lieu en pleine activité semble
cacher une absence de l'Homme, comme si sa monstrueuse invention lui
avait échappé et fonctionnait de manière autonome.
En
se rapprochant de la photographie, on découvre une autre vision. Ces
ballons, ces réservoirs, ces cheminées, et ces passerelles qui
constituent l'usine sont en réalité des ampoules, des canettes, des
rouleaux de cartons, des pailles et bien d'autres objets de notre
quotidien. Des matériaux pauvres, simples, des objets recyclables,
produits des énergies fossiles, recyclés en œuvre d'art. En
parallèle des objets plus techniques, des centaines de LED, des
canons à fumée, et autres éléments pyrotechniques, sont utilisés
dans le but de créer des artifices, une véritable mise en scène.
Cette
dernière nous trompe quant à la réalité de l'objet que l'on est
en train de regarder. Si de prime abord, nous semblons être face à
un site industriel d'une masse colossale qui s'impose dans le paysage
naturel, reculé de toute civilisation, nous sommes en vérité
confrontés à une maquette n'excédant pas 1m83 sur 2m44 posée dans
le désert californien. Par un effet d'optique, l'horizon et la
fausse usine fusionnent et ne font plus qu'un.
Par
ailleurs, dans une vidéo également présentée à la fin de
l'exposition, on peut voir grâce au contre-champ, tous les artifices
utilisés par les techniciens de David LaChapelle, véritable équipe
de tournage, qui créent l'illusion. C'est d'ailleurs en ce sens que
l'on peut percevoir la maquette comme un authentique plateau de
tournage.
Par
son aspect très futuriste : couleurs fluorescentes, lumières
vives, et formes esthétiques, la contemplation de ce spectacle nous
distrait et nous éloigne de la gravité du sujet pour nous proposer
une expérience insolite qui paraît inoffensive et innocente :
l'usine devient un véritable parc d'attraction.
Si
le parc industriel évoque un lieu de travail acharné, qui semble
renfermer des secrets, le parc d'attraction évoque un lieu de
divertissement, de plaisir immédiat et de séduction du visiteur.
Cependant, ces deux mondes se rejoignent autour d'une notion
commune : la production et la consommation de masse. Comme
l'évoquait l'auteur Bruce Bégout dans son ouvrage sociologique :
Zéropolis, la société actuelle est construite autour de
deux grandes idées : le travail et le divertissement. Une
vision très manichéenne qui se veut de justifier le travail pénible
par la promesse illusoire d'un bonheur à travers le divertissement.
Dans
ce flot de vie prie entre ces deux pôles, l'artiste se propose
d'envisager la photographie comme un arrêt dans le temps, une
réflexion sur notre mode de vie et sur ses conséquences dans le
futur sur l'environnement.
C'est
à travers sa seconde série Gas Station, prise dans la forêt
tropicale Maui, que David LaChapelle se fait témoin du monde tel
qu'il serait dans un future post-apocalyptique. À la manière des
romans et films de ce même genre, il nous propose de réfléchir dés
aujourd'hui à des manières d'intervenir sur les problématiques
écologiques. Dans ces photographies, nous voyons des stations
essences abandonnées, isolées dans une jungle dense. Cet effet de
domination de la nature est renforcé par le fait que les stations
essences ne sont que des maquettes de taille réduite, constituées
de cartons et de plastiques posés au milieu de la forêt. C'est sur
ce même sol que l'Homme a creusé pour faire des puits de pétrole.
Si l'on dirait ici que la nature est un monstre qui s'attaque à nos
constructions, les envahit, les encercle, et les étouffe, c'est en
faite bel et bien l'Homme qui a construit en empiétant sur la nature
et ses réserves, faisant intrusion.
La
question est donc : Va t-on voir ces stations essences et ces
usines disparaître au profit d'énergies plus vertes, ou
seront-elles les premières à nous voir disparaître ? Comme se
fut le cas à Tchernobyl ou à Fukushima
Malgré
cette volonté remarquable de traiter d'un thème important qui nous
concerne tous, nous restons sceptiques quant à la démarche
artistique de David LaChapelle. Ce dernier agit tel un réalisateur
qui décide et dicte les ordres et tâches à accomplir à ses
subalternes. Si son idée est intéressante par le fait qu'elle soit
ancrée dans des questions actuelles de société, ne surfe t-il pas
sur un thème simplement à la mode ? Nous avons également des
raisons de penser qu'il a repris son travail artistique suite à une
commande passée par une galerie de Berlin et le montant faramineux
de chacune de ses photographies (110 000$ pièce) ne laisse pas
penser que sa démarche a pour vocation d'être désintéressée et
altruiste. De plus, l'artiste laisse une très grande part
d’interprétation au spectateur quant à la signification de ses
œuvres. Est-ce un choix de liberté ou de facilité ?
Néanmoins, on ne peut nier que ses œuvres questionnent le
spectateur et l'amène à une réflexion.
Par
Corentin Le Jeune et Maude Gallais
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