WHILE TRUE, Victor Vaysse, 2016
L'installation
While
True peut
être considérée à la fois comme une sculpture mouvante, et une
véritable machine robotisée et programmée. Sorte d'exosquelette
informatisé, elle est structurée en trois parties verticales qui
contiennent un plan horizontal au centre. Ce plan comporte trois
photographies filmées par plusieurs caméras fixées sur des rails
se déplaçants de haut en bas et de gauche à droite. L'entité est
complexe, il faut un certain temps pour apprécier et comprendre son
entièreté. Elle est également composée d'un projecteur qui émet
depuis le coin inférieur gauche de la structure vers un écran placé
devant elle.
On
observe donc tout le « champ matériel » du domaine de la
robotique et de
l'informatique : des câbles savamment enchevêtrés, des
composants électroniques ou encore des caméras. Le son produit
évoque également le monde robotisé, on peut entendre les caméras
bouger sur leurs rails et l'on se croirait à côté d'une
gigantesque imprimante vrombissante.
Enfin
il est important de préciser que l'installation se trouve dans
une pièce obscure rappelant, soit l'intimité d'une d'une salle de
cinéma, soit l'inquiétante solitude d'une salle de maintenance au
cœur d'une usine.
Victor
Vaysse, avec
While True, concrétise une
réflexion complexe et plurielle sur les champs de la production
cinématographique comme le montage, la prise de vue sous différents
angles jusqu'à la diffusion en temps réel de celles-ci. Les caméras
filment en travelling des photographies ce qui représente une
première mise en abime. Dans un second temps ces caméras se filment
elles-mêmes ainsi que le fonctionnement propre de l'installation.
C'est donc un questionnement sur la production filmique qui est mis
en exergue. L'objet filmé est son propre sujet, c'est une réflexion
menée sur le processus de création et de diffusion d'un film. Si on
pousse l'analyse jusqu'à son terme, while
true peut être vue comme une
critique des productions post-industrielles propres à notre ère :
des machines créées par des machines. Cela remet en question les
processus de productions inhérentes au capitalisme comme la division
scientifique du travail tel le travail à la chaîne.
Cette
installation soulève plusieurs questionnements, par exemple :
cette œuvre se
filme elle-même et produit le montage de ce film en temps réel, ce
qui nous amène à réfléchir aux rapports industriels de la
création cinématographique. On remarque que depuis que le cinéma a
été institutionnalisé comme culture de masse dans les années
1920-30, durant l'âge d'or d'Hollywood, les créations
cinématographique ont été soumises au même mode de production que
d'autre produits et biens de consommations. En effet, le format et la
durée des films sont standardisés.
Cette logique s'est ensuite
affirmée avec le renouveau du cinéma hollywoodien dans les années
1960, avec l'arrivée des blockbusters,
films aux budgets pharaoniques (des dizaines de millions de dollars)
répondants à une logique purement capitalistique et divertissante,
dont le but est de plaire à un public visé (adolescents) et, bien
entendu, de générer une recette bien supérieure à
l'investissement. On peut citer le film Star-Wars
(1977) qui a été accompagné d'une campagne marketing hors-normes
autour de produits dérivés (figurines, posters, etc).
Dans
un second temps, le fait que cette installation, qualifiée de
« sculpture
mouvante », filme et monte son propre processus de
fonctionnement, grâce à un codage informatique qui lui permet de
répéter cette action indéfiniment, peut nous questionner sur la
possible conscience de ces entités informatiques et sur ce que l'on
appelle l'intelligence
artificielle. Il est troublant,
en effet, d'imaginer une machine créée et programmée par l'homme,
qui soit capable d'interagir avec d'autres ordinateurs et de
fonctionner par elle-même, c'est-à-dire, sans ordre humain au
préalable. C'est pourtant une réalité, en novembre 2016, une
expérience réalisée par des chercheurs du programme Google Brain,
le programme de recherche sur les I.A. Du géant Google, a dépassé
les craintes des meilleurs auteurs de romans SF dystopiques.
En
effet, les chercheurs sont parvenus à faire communiquer deux IA
nommées Alice et Bob entre elles, alors que de
son côté, une troisième IA du nom d’Eve avait pour but
d’intercepter leurs communications.
Alors
qu’ils n’avaient mis aucun algorithme spécifique en place, les
chercheurs ont constaté que ces deux
ordinateurs ont sécurisé leurs communications par le biais d’un
chiffrement qu’ils avaient eux-mêmes développé. Si la troisième
IA est parvenue à intercepter certaines communications, la majorité
d’entre elles sont restées indéchiffrables.
En
conclusion, on peut établir un parallèle avec une autre œuvre
réalisé en
2009 synthétisant les mêmes problématiques sur l'âge
post-industriel : Cloaca n°5
de l'artiste belge Wim
Delvoye. Cette
installation également robotisée inverse le principe de
bio-mimétisme qui consiste à reprendre des caractéristiques
naturelles pour les appliquer aux champs technologiques. Ici c'est
l'appareil digestif humain dans son ensemble qui est mécanisé. La
machine est « nourrie » de même manière qu'un humain,
les aliments sont ensuite digérés et en résulte de la matière
fécale.
Éminemment
subversive, cet œuvre représente une critique à la fois absurde
et acerbe de notre société de consommation. En inversant totalement
le processus de production industrielle qui va de la création d'un
produit agro-alimentaire jusqu'à la bouche du consommateur, Cloaca
n°5 propose de donner de la « vraie » nourriture à
une machine qui en fera « de la merde ».
Simon Raguin AS3, Mars 2017
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