jeudi 30 mars 2017

WHILE TRUE, Victor Vaysse, 2016

Exposition Panorama 18 - Le Fresnoy, Studio National des Arts Contemporain, Tourcoing - octobre/décembre 2016



L'installation While True peut être considérée à la fois comme une sculpture mouvante, et une véritable machine robotisée et programmée. Sorte d'exosquelette informatisé, elle est structurée en trois parties verticales qui contiennent un plan horizontal au centre. Ce plan comporte trois photographies filmées par plusieurs caméras fixées sur des rails se déplaçants de haut en bas et de gauche à droite. L'entité est complexe, il faut un certain temps pour apprécier et comprendre son entièreté. Elle est également composée d'un projecteur qui émet depuis le coin inférieur gauche de la structure vers un écran placé devant elle.

On observe donc tout le « champ matériel » du domaine de la robotique et de l'informatique : des câbles savamment enchevêtrés, des composants électroniques ou encore des caméras. Le son produit évoque également le monde robotisé, on peut entendre les caméras bouger sur leurs rails et l'on se croirait à côté d'une gigantesque imprimante vrombissante.
Enfin il est important de préciser que l'installation se trouve dans une pièce obscure rappelant, soit l'intimité d'une d'une salle de cinéma, soit l'inquiétante solitude d'une salle de maintenance au cœur d'une usine.


Victor Vaysse, avec While True, concrétise une réflexion complexe et plurielle sur les champs de la production cinématographique comme le montage, la prise de vue sous différents angles jusqu'à la diffusion en temps réel de celles-ci. Les caméras filment en travelling des photographies ce qui représente une première mise en abime. Dans un second temps ces caméras se filment elles-mêmes ainsi que le fonctionnement propre de l'installation. 

C'est donc un questionnement sur la production filmique qui est mis en exergue. L'objet filmé est son propre sujet, c'est une réflexion menée sur le processus de création et de diffusion d'un film. Si on pousse l'analyse jusqu'à son terme, while true peut être vue comme une critique des productions post-industrielles propres à notre ère : des machines créées par des machines. Cela remet en question les processus de productions inhérentes au capitalisme comme la division scientifique du travail tel le travail à la chaîne.

Cette installation soulève plusieurs questionnements, par exemple : cette œuvre se filme elle-même et produit le montage de ce film en temps réel, ce qui nous amène à réfléchir aux rapports industriels de la création cinématographique. On remarque que depuis que le cinéma a été institutionnalisé comme culture de masse dans les années 1920-30, durant l'âge d'or d'Hollywood, les créations cinématographique ont été soumises au même mode de production que d'autre produits et biens de consommations. En effet, le format et la durée des films sont standardisés. 

Cette logique s'est ensuite affirmée avec le renouveau du cinéma hollywoodien dans les années 1960, avec l'arrivée des blockbusters, films aux budgets pharaoniques (des dizaines de millions de dollars) répondants à une logique purement capitalistique et divertissante, dont le but est de plaire à un public visé (adolescents) et, bien entendu, de générer une recette bien supérieure à l'investissement. On peut citer le film Star-Wars (1977) qui a été accompagné d'une campagne marketing hors-normes autour de produits dérivés (figurines, posters, etc).


Dans un second temps, le fait que cette installation, qualifiée de « sculpture mouvante », filme et monte son propre processus de fonctionnement, grâce à un codage informatique qui lui permet de répéter cette action indéfiniment, peut nous questionner sur la possible conscience de ces entités informatiques et sur ce que l'on appelle l'intelligence artificielle. Il est troublant, en effet, d'imaginer une machine créée et programmée par l'homme, qui soit capable d'interagir avec d'autres ordinateurs et de fonctionner par elle-même, c'est-à-dire, sans ordre humain au préalable. C'est pourtant une réalité, en novembre 2016, une expérience réalisée par des chercheurs du programme Google Brain, le programme de recherche sur les I.A. Du géant Google, a dépassé les craintes des meilleurs auteurs de romans SF dystopiques.

En effet, les chercheurs sont parvenus à faire communiquer deux IA nommées Alice et Bob entre elles, alors que de son côté, une troisième IA du nom d’Eve avait pour but d’intercepter leurs communications.
Alors qu’ils n’avaient mis aucun algorithme spécifique en place, les chercheurs ont constaté que ces deux ordinateurs ont sécurisé leurs communications par le biais d’un chiffrement qu’ils avaient eux-mêmes développé. Si la troisième IA est parvenue à intercepter certaines communications, la majorité d’entre elles sont restées indéchiffrables.



En conclusion, on peut établir un parallèle avec une autre œuvre réalisé en 2009 synthétisant les mêmes problématiques sur l'âge post-industriel : Cloaca n°5 de l'artiste belge Wim Delvoye. Cette installation également robotisée inverse le principe de bio-mimétisme qui consiste à reprendre des caractéristiques naturelles pour les appliquer aux champs technologiques. Ici c'est l'appareil digestif humain dans son ensemble qui est mécanisé. La machine est « nourrie » de même manière qu'un humain, les aliments sont ensuite digérés et en résulte de la matière fécale.

Éminemment subversive, cet œuvre représente une critique à la fois absurde et acerbe de notre société de consommation. En inversant totalement le processus de production industrielle qui va de la création d'un produit agro-alimentaire jusqu'à la bouche du consommateur, Cloaca n°5 propose de donner de la « vraie » nourriture à une machine qui en fera « de la merde ».

Simon Raguin AS3, Mars 2017


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